"Vert Désir" (Emeraude, Jade,...), au "TreM.a", à Namur, jusqu'au 18 Avril
« Chaque pierre a une âme qui lui est propre » (Claude Arpels/"Van Cleef & Arpels").
« Il y a l’émeraude d’un très beau vert qui, si elle est assez plate et large, renvoie une image comme un miroir ; elle réjouit et fortifie la vue de ceux qui s’y regardent. Elle est efficace contre l’hémitritrée et le mal caduc. Elle sert même à réprimer le transport des sens. Sa couleur devient plus intense si on la lave avec du vin et qu’on la frotte avec de l’huile d’olive » (Jacques de Vitry {années 1660-1240}/« Histoire orientale », chap. XCI).
« Le jade, en sa beauté, possède cinq qualités : Son onctuosité au toucher lui donne sa douceur : tel est son sens de l’humain ; ses veines visibles en surface révèlent son intérieur : tel est son sens de la loyauté ; le son de sa résonnance porte au loin : tel est son sens de la clairvoyance ; il rompt et ne plie pas : tel est son sens de l’audace ; ses contours bien tranchés ne sont pas coupants : tel est son sens du savoir vivre » (Xu Shen {58-147/dynastie Han}, « Shuowen Jiezi » / Explication des mots et analyses des caractères).
Voici trois citations qui peuvent nous motiver à découvrir une exposition de haute valeur, « Vert Désir », qui nous attend, à Namur, au « TreM.a-Musée provincial des Arts anciens », jusqu’au dimanche 18 avril, nous présentant différentes pierres, telles l’émeraude et le jade, déjà cités, mais également la malachite, le péridotainsi, la serpentine,… , à la base d’une intéressante production artistique soulignant le savoir-faire des artisans et artistes, de la nuit des temps jusqu’à une oeuvre contemporaine de l’Anversois Jan Fabre, le crétateur de « Searching for Utopia », qui domine, de l’un des promontoires de la Citadelle, le confluent de la Sambre et de la Meuse.
Dans la préface de la monographie accompagnant cette exposition, Geneviève Lazaron, députée provinciale en charge de la Culture, cite un propos de l’ancien président français Jacques Chirac (1932-2019) : « Aucun peuple, aucune nation, aucune civilisation n’épuise ni ne résume le génie humain. Chaque Culture l’enrichit de sa part de beauté et de vérité, et c’est seulement dans leurs expressions toujours renouvelées que s’entrevoit l’universel qui nous rassemble. »
Notre découverte de cet univers du « vert » commence par une rare collection d’éléments de météorites, qui, découpées en tranches, sont d’une beauté fascinante, permettant à la joaillerie de tailler des brillants « célestes » dans les cristaux d’olivine (ce nom dérivant de sa couleur vert olive) les plus purs, sachant qu’il n’y a qu’une dizaine de météorites qui contiennent des cristaux verts.
Notons la présence de tranches de la météorite de Imilac, trouvée au Chili, en 1822, ainsi que d’un fragment de météorite, trouvé le 27 juin 1931, à Tataouine, une ville tunisienne qui prêta, dès 1977, ses habitats troglodytes et son nom à la célèbre planète des sables de la saga des films « Star Wars », réalisés par George Lucas.
Pline l’Ancien (23-79) écrivit : « Une pierre gigantesque est tombée du ciel à Aegos Potami, pendant la deuxième année des 78è olympiades (467-466 avant notre ère) alors qu’une comète était visible la nuit. »
Dans l’ Égypte antique, la couleur verte est associée aux notions de fertilité, de fécondité, de vitalité et de jeunesse, étant, aussi, à l’origine du cosmos et à tous les processus de renaissance. En ancien égyptien, « vert » se dit « ouadj » et le mot s’écrit à l’aide d’un sigle hiéroglyphique représentant une colonnette en forme de tige et d’ombrelle de papyrus. Des amulettes protectrices de cette forme étaient posées sur la gorge du défunt afin de lui garantir la renaissance éternelle, alors que la teinte verte était utilisée pour les faïences.
Avec la vitrine suivante, nous abordons l’époque de la Rome antique, sachant que les Romaines raffolaient de l’émeraude pour sa couleur et son éclat, cette pierre préciseuse étant présente sur presque chaque collier et pendentifs d’oreilles. Pour elles, l’émeraude est la seule à pouvoir « satisfaire l’œil sans jamais le rassasier ». Entre autres, des portraits funéraires du Fayoum le démontrent, leurs parures associant cette pierre à l’or et aux perles.
Au Moyen-Âge l'on redécouvre certaines pierres vertes, comme l'émeraude égyptienne et la chrysolithe-péridot à l’éclat doré, qui, à l’époque antique était exploitée sur l’île égyptienne inhabitée de Zabarğad, en mer Rouge, étant reconnue comme la pierre de la sagesse, transmeteuse de la bonne parole… Son ancien nom, « Topazos », est à l'origine du mot « topaze »... Aujourd'hui inclus dans le Parc National d'Elba, ce coin de terre est également connu sous le nom d'île Saint-Jean...
Julien De Vos, conservateur du « TreM.a » et commissaire de la présente exposition, attire, ensuite, notre attention sur la magnifique « Croix-Reliquaire de Clairmarais », réalisée en argent doré, niellé, avec émaux et pierreries. Prêtée par le « Musée Sandelin », à Saint-Omer, elle aurait été exécutée entre 1210 et 1220 - à l’époque de la prospérité de l’ « Abbaye cistercienne de Clairmarchais », ainsi que de Baudouin IX (1172-1205), Comte de Flandre (1195-1204) et de sa fille Jeanne (1206-1244) - afin d’abriter une relique rapportée de la Terre Sainte ou de Constantinople.
A la vue de cette « Croix-Reliquaire », qui fut longuement étudiée, à Namur - afin d’identifier les pierres et verres médiévaux -, par le directeur de l’ « Ecole belge de Gemmologie », Staf Van Roy, nous ne pouvons que constater à que point l’orfèvrerie a pu se mettre au service de la religion,… comme nous le prouve, par ailleurs, la section du « TreM.a » consacrée au « Trésor d’Hugo d’Oignies », qui se doit d’ête visitée par toute personne ne venant au Musée que pour son exposition.
De la religion passons aux luxueuses parures des dames de la noblesse, alliant l’émeraude à l’or, comme nous le démontre une demi-parure espagnole du XVIIIè siècle, propriété du « Musée du Louvre », en dépôt au Château de Compiègne, le port de cette demi-parure étant illustré par un tableau de Louis-Michel Van Loo (1707-1771) d’Elisabeth Farnèse (1692-1766), Reine d’Espagne de 1714 à 1746. Ce noeud de corsage, en or, en forme de « noeud à la Sévigné », comprend une grosse émeraude centrale et de petites émeraudes.
Soulignons encore le présence de somptueuses pièces muséales en provenance du « Musée de l’Armée », l’un des… six musées sis aux « Invalides ». Ainsi, Napoléon 1er (1769-1821) ne sachant pas s’il allait offrir un revolver ou un arc à flèche au Chérif du Maroc, fit fabriquer les deux, en 1804, à Rotterdam. L’histoire fit qu’il n’eut pas l’occasion de les remettre à son destinataire et qu’ils ne furent retrouvés que dernièrement dans les réserves de ce Musée,… ce qui nous permet de découvrir, avec grand plaisir, ces deux pièces, dont la beauté est indéniable…
A côté de cet arc, nous pouvons admirer un somptueux carquois de l’Empire ottoman - serti d’émeraudes, en provenance de Colombie, de rubis et de perles -, qui aurait été offert, en 1742, à Louis XV (1710-1774), témoignant tant de l’attrait des Ottomans pour les arcs à double courbure que du faste des cadeaux diplomatiques destinés à la Cour de France.
Pour les amateurs de bière, que diriez-vous de pouvoir trinquer avec une chope en argent doré, sertie d’une pierre de jade, cette chope, datant des années 1760, nous venant d’Augsbourg.
« Vert Désir » n’oublie pas la joaillerie contemporaine, la Maison « Van Cleef & Arpels », de la Place Vendôme, fondée en 1906 par Alfred Van Cleef (1873 – 1938) et Salomon Arpels (1880-1951) contribuant à la réussite de cette exposition en prêtant quelques une de leurs plus belles créations, dont un somptueux collier, réalisé en 1973, en or jaune, avec diamants et chrysophrase, cette dernière pierre, aux tonalités homogènes et harmonieuses, venant d’Australie. Notons encore le « sautoir alhambra » (vers 1970), en or jaune, avec malachite, ou encore un bracelet, porteur d’une « breloque voilier » (vers 1964), en or jaune et platine, avec diamants, lapis-lazuli, malachite et rubis.
Deux autres joailliers contemporains sont mis à l’honneur, l’Allemand Tom Munsteiner – dont la tourmaline occupe une place de choix dans ses créations, ce mot nous venant du cingalais « thuramali », signifiant « pierre aux couleurs mélangées » - et le Français, origninaire de Géorgie, « Goudji » (Guy Georges Amachoukeli), maître de l’art sacré, expert de la dinanderie, puisant son inspiration à la source des civilisations anciennes, qui écrivit : « Seuls le métal et sa spécificité, seuls la pierre et son mystère me dictent ce qu’il me faut faire. »
Dans la dernière salle, le XXIè siècle est représenté par l’incroyable bague à secret « Pikotzea 2 » (4,5 x 4,3 x 5,2 cm/recelant un minuscule livre, illustré des dessins préparatoires), choisie pour l’affiche de « Vert Désir », sculptée, en 2016, par Jean Boggio, avec de l’or, de l’argent rodhié, de l’agate verte, des améthystes, de la chrysoprase, du jade, 18 tourmalines, 156 tsavorites et de la turquoise, pardonnez du peu…
Dessinant depuis l’âge de 6 ans, Jean Boggio écrivit : « Je joue avec mes rêves, mais aussi mes angoisses. Et je fais mienne cette phrase : tout le monde n’est pas digne d’habiter la maison du bonheur, faut-il encore vouloir savoir en pousser la porte »… Est-ce sa « maison du bonheur » qu’il a édifié sur cette bague à secret ?…
Dans cette même salle, apprenant que le vert dans l’art n’apparut en Afrique qu’à l’arrivée des Européens, nous trouvons, venant de l’Angola, un impressionnant masque gobodi, du groupe Kongo, de l’ethnie Kotshi, prêté par l’« Africa Museum », de Tervuren.
Face à ce masque - introduit en Belgique, en 1937, par Edmond Dartevelle (1907-1956), docteur en sciences naturelles, chef d’une section du Musée de Tervuren (alors nommé "Musée roval du Congo belge")-, nous découvrons plusieurs oeuvres d’un artiste anversois, bien connu des Namurois, qui ne peuvent que se souvenir de l’événement de 2015 de la capitale wallonne, « Facing Rops-Fabre », à savoir Jan Fabre. Outre trois dessins aquarellés de masques d’insectes, datant de 1978, il nous propose une création entomologique en élytres de scarabées, réalisée en 2001, précédant sa décoration de la Salle des Glaces du Palais Royal, finalisée en 2002, avec 1,4 million d’élytres de scarabées.
Les règles sanitaires nous obligeant de suivre un parcours flêché nous revenons à la première salle, où nous découvrons des pièces muséales d’Amérique latine, notamment de la civilisation Maya, et d’Asie, comme cette créature mythologique chinoise en jade doré, le « Pixiu », de la dynastie Ming (1368-1644). Les récits traditionnels racontent que ce dragon mâle, dénommé « Tian Lu », parcourt l’univers à la recherche de l’or et des plus grandes richesses pour les rapporter à celui qui réussira à le maîtriser. Posséder une statue de « Tian Lu » dans sa maison empêche ainsi la fortune de s’échapper, mais cette créature est, aussi, très populaire en amulettes ou en pendentifs, en jade, car elle permet de conjurer les mauvaises années.
Evoquant l’Asie, nous pouvons ajouter que ce n’est pas un hasard si la statue du Bouddha la plus vénérée en Thaïlande est le « Bouddha d’Emeraude », sise au « Wat Phra Kaeo », une statue en émeraude qu’il est interdit de photographier et devant laquelle l’on doit s’asseoir sur le sol, avec les jambes posées vers l’arrière du temple.
Au « TreM.a », l’Océanie n’est pas oubliée, entre autres avec le « Hei Tiki », de la période Te Puawaitanga (16-18è siècle), en fibre végétale et en os, avec coquillages et jade (néphrite) (8,5 x 5 cm), une herminette de Mélanésie, en Nouvelle-Calédonie (18-19è siècle), en fibre végétale, avec serpentine, deux pièces de la « Galerie Meyer-Oceanic & Eskimo Art », de Paris.
Plus anecdotique, notre attention est attirée par deux petits seins, réalisés en coque de noix de coco, avec pigments verts, obtenus à partir de l’écorce de bambou. Utilisés lors de cérémonies rituelles, ils nous viennent d'un archipel volcanique mélanésien, plus précisément de Malekula, l'une des 83 îles de la République de Vanuatu (que l'on traduit, en français, par "pays debout").
Notre visite terminée, nous empruntons l’escalier, admirant une dernière oeuvre, issue d'une collection privée, créée en jade, en provenance de l'Afghanistan, un bateau « dragon », en prenant bonne note d’un dicton chinois : « Puisse le bateau ‘dragon’ vous apporter réussite, bonheur et bonne fortune, avec un bon vent dans ses voiles. »
Soulignons encore ce que Geneviève Lazaron a écrit : « Le musée aujourd’hui n’est plus seulement un lieu de délectation ou d’éducation, il est aussi un acteur engagé dans la société qui l’entoure. C’est pourquoi la Province de Namur, à travers ses musées, se donne notamment pour objectif de promouvoir les démarches mettant en avant la relation de l’Homme à la nature à travers ses productions artistiques, un révélateur environnemental en somme. »
Terminons cette présentation par un « clin d’oeil » de la responsable de projet, Anna Trobec : « Cet événement rassemble des objets de grande beauté. Certains bijoux portent les poinçons d’orfèvres ou d’une maison de Haute Joaillerie réputés. Messieurs vous pouvez emmener vos compagnes, en toute quiétude, passer un agréable moment, rien n’est à vendre ! »
A souligner l’organisation de visites et d’animations scolaires (jusqu’à 12 ans, selon les actuelles normes fédérales) :
* Manipulons les couleurs (de la 3e maternelle à la 2e primaire) :
Sur base du contenu de l’exposition, les enfants réalisent diverses manipulations et expériences afin de découvrir les couleurs et les variations de teintes. Ils échangent sur leur ressenti, leurs sensations et leurs observations. L’animation se clôture par un atelier créatif autour des couleurs.
* Voyage au travers de la pierre (de la 3e primaire à la 2e secondaire) :
Sur base du contenu de l’exposition, les enfants découvrent diverses civilisations et cultures au travers des pierres vertes et de leurs trajets. Au départ de légendes et d’œuvres d’art, les élèves se transforment en explorateurs. Ils découvrent par groupe une civilisation et partagent les résultats de leurs recherches à l’ensemble de la classe.
* Petite visite, en trois temps, autour du vert et autres pigments (de la 3e à la 6e primaire/sans animation)
- Découverte de la fabrication du vert et autres pigments à l’époque de Henri Bles (dans le musée)
- Détour par la symbolique des couleurs et les drôles de noms des couleurs héraldiques (dans le musée)
- Visite de l’exposition "Vert Désir", via un quizz, pour mieux explorer toutes les nuances de verts.
Prix par classe (maximum 25 élèves) :
40 € (maternelle et primaire) ; 40 € par classe + 1 € par élève (secondaire), pour les visites guidées.
40 € (primaire), pour l’animation.
Ouverture : jusqu’au dimanche 18 avril, du mardi au dimanche, de 10h à 18h. Prix d’entrée : 5€ (2€50, pour les étudiants et les séniors / 1€, par élève, en groupes scolaires {visites libres} / 0€, pour les moins de 12 ans, détenteurs du « Museum Pass », Art. 27, membres de l’ « ICOM » & pour tous, tous les premiers dimanches du mois. Réservations obligatoires (12 personnes par heure) : 081/77.65.42 et musee.arts.anciens@province.namur.be. Site web : https://www.museedesartsanciens.be/vert-desir.
Monographie : « Vert Désir, Emeraude, Malachite, Jade et autres Minéraux verts, dans l’Art et l’Archéologie » (collectif d’auteurs/Ed.« Province de Namur »/broché/2020/212 p./15€. Envoi postal gratuit ou « click & collect » (de 10h à 17h), via : 081/77.65.42 et carine.ernoux@province.namur.be.
Yves Calbert.