Un pilier de l’aide sociale rudement secoué par le COVID-19, mais pas abattu
Les mesures de confinement et de distanciation sociale liées au COVID-19 ont failli emporter avec elles quantité d’initiatives de lutte contre la précarité et l’exclusion. Dès le début de la crise, la Fondation Roi Baudouin s’est mobilisée, en collaboration avec de généreux philanthropes, pour aider les acteurs de terrain à assurer la continuité de leurs services. Illustration avec l’asbl Amon nos hôtes.
Une table de pingpong repliée contre un mur. Une télévision éteinte. Des tables sans chaises et des chaises empilées dans un coin. Ni musique, ni personne pour papoter. Cette après-midi de novembre, un petit air tristounet plane sur cette grande pièce inondée de lumière et, d’ordinaire, envahie par mille conversations animées. C’est que, depuis la mi-mars, le tsunami du COVID-19 et du confinement a rudement secoué les habitudes des bénévoles et des professionnels de l’association Amon nos hôtes, nichée au cœur du quartier Saint-Laurent, sur les hauteurs de Liège.
Amon nos hôtes - un clin d’œil à l’expression wallonne qui signifie ‘Chez nous’ - a une particularité quasiment unique dans le paysage de l’aide sociale liégeoise : sans ses bénévoles, elle s’écroulerait. Ils sont en effet une cinquantaine, chaque semaine, à mouiller leur chemise pour faire tourner un restaurant social et un snack destinés aux personnes en situation de grande précarité ou de décrochage. Avec cette particularité que tous ces bénévoles connaissent le quotidien de leurs bénéficiaires, puisqu’eux-mêmes ont connu cette vie très difficile à un moment ou l’autre de leur vie.
Des repas, vecteurs de ciment social
Cinq jours par semaine, dès 16h30, les portes de l’asbl s’ouvrent à la population du quartier et au-delà, en recherche de chaleur humaine et physique, d’un lieu où parler - histoire de rompre l’isolement - et où trouver de l’aide sociale ou psychologique. Au four et au moulin s’activent sept travailleurs sociaux accompagnés des bénévoles qui, en matinée, se chargent des préparations culinaires et, en soirée, se consacrent au service au comptoir, à la vaisselle ou à la gestion de la caisse. Si certains usagers passent ici occasionnellement, d’autres saisissent ici la triple perche qui leur est tendue : s’impliquer eux-mêmes dans la formule de ce ‘bénévolat culinaire’ en échange d’un repas gratuit, participer à des ateliers (jardinage, expression théâtrale, cuisine, arts plastiques…) et, surtout, bénéficier des services d’une permanence sociale en soirée qui peut s’approfondir via une aide individuelle en journée.
"Le public accueilli ici vit dans une grande précarité", commente Frédéric Svendsen, éducateur du projet Accueil de soirée. "Outre ses aspects financiers, celle-ci entraîne isolement social et perte d’estime de soi. En ouvrant la porte d’Amon nos hôtes, nos usagers ont accès à un environnement convivial, presque familial, assuré par des ‘pairs aidants’ et l’équipe éducative. Ceux-ci créent la confiance nécessaire pour faire émerger progressivement, chez les nouveaux venus, une demande qui peut s’affranchir des contraintes de la survie quotidienne, des démarches administratives, des consommations excessives, etc."
Une porte intérieure qui s’ouvre
Sébastien, 27 ans, fréquente Amon nos hôtes depuis six ans. Après avoir été mis à la porte par ses parents, explique-t-il, il a été diagnostiqué souffrant de schizophrénie, déclaré inapte au travail puis a été engagé dans une entreprise de travail adapté. "Depuis que je suis ici, j’ai pu exploiter une chose que j’avais remarquée à l’école secondaire : je sais écouter les autres. Avec les éducateurs, j’aide les gens de la rue à se réintégrer plus facilement dans la société. Surtout, je suis plus mûr dans mes décisions et je me sens plus responsable : quand je décide quelque chose, je m’y tiens."
De 26 ans son aînée, Louise, elle, explique à quel point son implication dans l’association l’a stabilisée et apaisée au sein d’un long parcours psychologique douloureux. "Je m’éparpillais, je me dispersais dans tous les services sociaux, j’avais des problèmes mentaux, j’étais impulsive avec tout le monde. Ici, je me suis ouvert une porte intérieure et j’en suis fière : j’arrive à me concentrer et je suis moins victime de mes impulsions. Avec l’assistante sociale, je comprends mieux mes problèmes de santé."
Sébastien, comme Louise, insistent : si les usagers d’Amon nos hôtes n’y mettent pas du leur, s’ils ne se prennent pas en charge, ils n’arriveront pas à se sortir de leur situation. Faire ‘à la place’, ce n’est ni le style des bénévoles, ni celui de l’association.
Un coronavirus dévastateur
Mais, à la mi-mars 2020, tout ce beau monde a failli chavirer. Confinement oblige, le restaurant a dû fermer ses portes. Louise et ses collègues bénévoles ont perdu tout contact, tant entre eux qu’avec les professionnels et les bénéficiaires du restaurant. "Je pleurais, je n’avais plus personne à qui parler". Terminés, les repas chauds à 4 euros et les sandwiches à 1,50 euro. Oubliées, les activités pour les bénévoles. Durement éprouvés, surtout, les liens sociaux patiemment tissés au fil des mois.
Un drame, assurément, d’autant plus que de nouveaux demandeurs d’aide alimentaire sont venus frapper à la porte de l’asbl. Les ateliers ont été fermés et, l’été, n’ont pu reprendre qu’en mode restreint avec un nombre de participants réduit. Seul bémol positif : les bénévoles ont pu continuer à bénéficier des prestations sociales, de l’aide alimentaire et d’ateliers organisés en mode mineur.
Ce drame a heureusement pu être atténué en bonne partie : Amon nos hôtes a bénéficié d’un soutien de 15.000 euros du Fonds Jean Praet, qui a collaboré à l’appel d’urgence de la Fondation Roi Baudouin. "Le soutien nous a permis de rebondir en adaptant nos activités culinaires vers la livraison de repas aux personnes isolées et aux sans-abris de la ville et en créant un service alimentaire à emporter", explique Arnaud Bihin, directeur de l’asbl Sans Logis à l’origine (avec d’autres) d’Amon nos hôtes. "Grâce à cette aide, nous avons pu continuer à acheter les denrées de base, des raviers, du matériel d’emballage, sans oublier le matériel désinfectant. Nous avons également pu rendre les prix des préparations encore plus démocratiques." Grâce à des milliers de coups de téléphone, le contact a pu être maintenu au plus fort de la crise avec les bénévoles.
Ce qui n’empêche pas chacun, bénévole ou professionnel, d’espérer que cette ‘parenthèse COVID-19’ soit la plus courte possible. Leur espoir à tous : une réouverture (éventuellement progressive) de l’accueil de soirée et, bien sûr, du restaurant, puisque tous deux constituent le creuset des liens entre tous. "Idéalement avant les fêtes, qui sont des occasions particulièrement importantes d’implication des bénévoles", espère Fréderic Svendsen.
À propos de l’appel d’urgence ‘COVID-19 : personnes précarisées’
Dès le début de la crise du COVID-19, la Fondation Roi Baudouin se mobilisait pour venir en aide aux acteurs de terrain. À la suite d’un premier appel d’urgence, plus de cinq millions d’euros ont été distribués à quelque 500 organisations de lutte contre la pauvreté et le sans-abrisme, afin de les aider à faire face aux besoins pressants.