"Picasso & Abstraction", aux "Musées royaux des Beaux-Arts", jusqu'au 12 Février
Plus que quelques jours pour découvrir, aux « Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique », l’exposition « Picasso & Abstraction », organisée à l’approche du 50è anniversaire du décès de l’artiste, le 08 avril 1973, s’inscrivant dans le cadre du projet « Célébration Picasso 1973-2023 », assurant la programmation d’une cinquantaine d’évènements célébrant Pablo Picasso.
En 1935, Pablo Picasso (1881-1973) proclamait : “Il n’y a pas d’art abstrait. Il faut toujours commencer par quelque chose”.
Ce n’était ni la première fois, ni la dernière, que cet immense artiste espagnol s’exprimait sur ce sujet laissant même parfois entendre que, selon lui, l’art abstrait n’était que décoration : « J’ai horreur de toute cette peinture dite abstraite. L’abstraction quelle erreur, quelle idée gratuite. Quand on colle des tons les uns à côté des autres et qu’on trace des lignes en l’air, sans que cela corresponde à quelque chose, on ne fait tout au plus que de la décoration ... Au point de vue de l’art, il n’y a pas de formes concrètes ou abstraites, mais uniquement des formes qui sont des mensonges plus ou moins convaincants. »
Cette exposition, organisée en partenariat avec le « Musée national Picasso–Paris », nous présente plus de 140 oeuvres, ce thème de l’abstraction pouvant donc nous étonner, puisqu’il s’opposait farouchement à l’art abstrait, même si son oeuvre illustre le principe même de l’abstraction.
Ce paradoxe tient en partie du fait que l’artiste entretint une relation ambigüe avec le principe-même d’abstraction, ne cessant d’y revenir tout au long de sa vie. Ainsi, des avant-gardistes russes aussi bien que des expressionnistes abstraits américains, engagés pleinement, quant à eux, dans l’abstraction, se revendiquèrent de son héritage.
De son côté, Michel Draguet, le directeur du musée bruxellois, nous confia : “En réalité, Pablo Picasso a toujours été lié à l’abstraction, dont il a été l’une des grandes sources. À l’exception de Vassily Kandinsky, toutes les pionniers.ères de la peinture abstraite se sont d’ailleurs appuyés sur sa démarche, qu’il s’agisse de Kasimir Malevitch, Piet Mondrian, Olga Rozanova ou encore Vladimir Tatline. »
Régulièrement, Pablo Picasso franchira la ligne, tout en refusant d’y céder totalement. Ce mouvement de balancier entre abstraction et quelque chose de plus figuratif, se retrouvera souvent dans sa carrière. Une démarche clairement visible notamment dans ‘L’Arbre’ (1907), une œuvre étonnante où tous les éléments constitutifs d’un arbre sont présents, mais dans un agencement et des déconstructions tels qu’il n’est pas identifiable. », nous expliqua Joanne Snrech, la conservatrice responsable des peintures du « Musée national Picasso–Paris ».
Pour la première fois, ici, à Bruxelles, les étapes qui ont rythmé les liens entre l’œuvre de cet artiste et l’histoire de l’art abstrait nous sont clairement révélés. Des ses premières expérimentations cubistes, réalisées en marge des « Demoiselles d’Avignon » (1907) jusqu’à son œuvre tardive, parfois située aux frontières de la peinture gestuelle, cette surprenante relation nous est présentée dans un parcours chronologique et thématique subtil, nous révélant le mouvement de balancier que cet artiste opéra au fil des décennies, cette dynamique de va-et-vient démontrant, par ailleurs, le travail de déconstruction de l’histoire de l’art moderne, qui est à l’œuvre de nos jours.
L’atelier de l’artiste, autre thème majeur, intimement lié à la collection du « Musée Picasso-Paris », véritable laboratoire formel de l’œuvre, nous donne à voir le processus créatif de Pablo Picasso, à travers diverses séries de dessins et estampes. Lieu de création et laboratoire d’expérimentation, son atelier laisse entrevoir l’ambiguïté entre réel et fiction, l’imagination de l’artiste y prenant corps.
“Un atelier de peintre doit être un laboratoire. On n’y fait pas un métier de singe, on invente », déclara Pablo Picasso qui travailla dans de nombreux ateliers, y ayant pioché des curiosités et d’autres “trésors de poubelles”, partout, tout le temps. Pour lui « tout est élément à décomposer, à détourner, à associer pour devenir peinture ».
En 1912, il achète avec Georges Braque (1882-1963) un masque provenant de la Côte d’Ivoire. Étrangement, la puissance de cet objet le stimule à créer une série de … guitares.
S’inspirant de l’art nègre – au sein duquel Pablo Picasso puisera largement le vocabulaire et en saisissant instinctivement l’essence, dépassant toujours le factuel et l’anecdote – il lui arriva d’associer clous, cordelettes ou tissus, séduisant, ainsi, les surréalistes.
Soulignons, au niveau de la scénographie, l’intéressante association de peintures de l’artiste avec des masques ou autres sculptures en bois, provenant de l’ « AfricaMuseum » ou « Musée royal de l’Afrique centrale », à Tervuren, ou de collections privées.
« Guitare et Bouteille de Bass »/1913 (Pablo Picasso) © Succession Picasso-Sabam Bel./2022 © « RMN-Grand Palais » © Photo : Adrien Didierjean
Dans les années de guerre, l’artiste recourra encore à l’écriture abstraite, comme dans « La Cuisine », une œuvre tout en grisaille, inspirée par les tragédies du moment. On le voit, le parcours présenté à Bruxelles est original, étonnant et d’une grande densité.
Quelques citations de Pablo Picasso, que nous découvrons, avant d’accéder à l’exposition :
- « Je ne peints pas ce que je vois, je peins ce que je pense. Chez moi, un tableau est un somme de destructions. »
- « Je ne cherche pas, je trouve. On n’a jamais fini de chercher, parce qu’on ne trouve jamais. »
- « Je mets dans mes tableaux tout ce que j’aime. Tant pis pour les choses, elles n’ont qu’à s’arranger entre elles. »
- « Je commence dans une idée et puis çà devient tout autre chose. »
- « Tout l’intérêt de l’art se trouve dans le commencement. Après le commencement, c’est déjà la fin. »
- « Quand j’avais leur âge, je dessinais comme Raphaël, mais il m’a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme eux. »
Laissons à Michel Draguet le soin de conclure : “Nous n’avons jamais défini de manière univoque le concept d’abstraction pour lui conserver cette fluidité expérimentale, qui en fait une des composantes de Picasso. A chacun d’apprécier, d’une part, la créativité extraordinaire de l’artiste et sa capacité à sans cesse se réinventer, et, d’autre part, de mesurer comment les élans vers l’inconnu restent une excellente manière de mieux se connaître et de se libérer des étiquettes qui nous entravent. »
Notons que pour nous accompagner au cours de notre visite, un podcast (disponible sur les plateformes « Acast » et « Spotify ») nous propose une immersion sonore dans quinze œuvres de Pablo Picasso.
Ouverture : jusqu’au dimanche 12 février, de ce mardi 07 à ce vendredi 10 février, de 10h à 17h, ces samedi 11 et dimanche 12 février, de 11h à 18h, les caisses fermant une demi-heure avant la fermeture du musée. Prix d’entrée : 17€ (15€, dès 65 ans / 7€, pour un étudiant, de 18 à 25 ans, un enseignant, ainsi que pour une personne porteuse d’un handicap & son accompagnateur / 30€, pour les moins de 18 ans). Contacts : info@fine-arts-museum.be & 02/508.32.11. Site web : https://fine-arts-museum.be/fr.
En marge de « Picasso & Abstraction » – une petite exposition, sise en une seule salle, son accès étant inclus dans le prix de l’exposition consacrée à Picasso -, ne manquons pas de découvrir les créations de l’artiste bruxelloise Isabelle de Borchgrave (Isabelle Jacobs/°Etterbeek/1946), au sein de son expo – œuvre titanesque peinte à la main – intitulée « Miradas de Mujeres » (« Le Regard féminin »), consacrée à l’artiste peintre mexicaine Frida Kahlo (Magdalena Frida Carmen Kahlo Calderón/1907-1954).
Avec plus de quatre kilomètres de papier et de carton, Isabelle de Borchgrave, durant près de trois ans, a créé des arbres, meubles, robes, tapis et autres éléments recréant le monde particulièrement spécial de Frida Kahlo et de sa « Casa Azul » (« Maison bleue »), ces deux artistes partageant un même amour des tissus, des motifs et des couleurs.
Yves Calbert.