"Love is louder", à "Bozar", jusqu'au 05 Janvier 2025

écrit par YvesCalbert
le 31/12/2024

« L’amour n’est-il pas à l’origine de toute création ? », déclarait Henri Matisse (1869-1954), en 1954.

« Choisir la naissance du mouvement hippie comme point de départ de l’exposition était une manière de mettre l’accent sur le potentiel révolutionnaire de l’amour », puisque le « Summer of Love », en 1967, était une réaction directe contre la guerre du Viêtnam et qu’il était étroitement lié à la lutte pour les droits civiques », explique Zoë Gray, la directrice des expositions, à « Bozar ».

… Et d’ajouter : « A une époque de violence, d’incertitude et de polarisation croissantes, l’exsposition s’entend comme un appel à ‘faire l’amour, pas la guerre’, comme une exhortation à se concentrer sur ce sui est à même de nous rassembler. Son titre – ‘Love is louder’ – est emprunté à une oeuvre de Sam Durant, qui reprend, pour sa part le slogan d’une pancarte brandie lors d’une manifestation. La question qu’il pose est : ‘L’Amour est plus fort’,  mais  … plus fort que quoi ? La réponse peut être différente pour chacun. Plus fort que la guerre ? Plus fort que la perte d’un proche ? Chacun a, sans doute, son idée sur la question. Le choix vous appartient. »

Faisant souvent référence à l’histoire américaine, le travail de Sam Durant (°Seattle//1961) explore la culture et  la  politique, engageant des sujets tels que le mouvement des droits civiques, la musique rock sudiste et le  modernisme.

De son côté, Christophe Slagmuyder, CEO & directeur artistique, à « Bozar », écrit : « L’exposition ‘Love is Louder’  est un exercice en polyphonie pour les artistes, les équipes, qui travaillent au sein d’une institution comme la nôtre, et pour nos visiteuses et visiteurs. Qu’elles sont les multiples expressions de l’amour et des relations humaines que nous souhaitons montrer aujourd’hui ? Comment construire quelque chose ensemble ? Comment mettre en valeur des formes d’empathie et de solidarité ? A une époque où l’intolérance augmente, ce n’est pas naïf ou rêveur, mais extrêmement urgent. »

Explorant les nombreuses facettes de l’amour, ses tensions et ses différentes formes. Naviguant entre le personnel  et le politique, entre l’intime et le public, l’exposition se focalise sur trois dimensions de l’amour : l’amour romantique, ,a parenté et l’amitié, ainsi que l’amour dans un contexte social plus large.

Parmi les premières oeuvres exposées, notons cette oeuvre particulière, « Tango » (2023), des artistes italiens Valentina Ornaghi (°Milan/1986) & Claudio Prestinari (°Milan/1984) : un verre contenant deux brosses à dents en plastique, tendrement enlacées, une symbolisation de l’intimité d’une vie partagée au quotidien.

Notre attention est également attirée par, suspendu dans une vitrine, un couple nu enlacé – intitulé « Couple » -, créé, en 2002, en tissu éponge, par la dessinatrice, graveuse et sculptrice française Louise Bourgeois (1911-2010).

L’amour nous étant présenté sous tous ses aspects, deux petites salles intimes de projections nous présentent des  images réservées aux adultes, alors que de nombreuses oeuvres figuratives nous montrent, à l’inverse, tout le côté romantique de l’amour, fut-il familial, fort bien illustré par « Acting as Father » (« Agir en Père »), une tempera à la caséine sur panneau, du peintre indien Mahesh Baliga (°Karnataka/Inde/1982).

Une même douceur se retrouve dans « Claire et Cécile », une peinture de 2022-2023, réalisée par l’artiste franco-israélienne Nathanaëlle Herbelin (°Israël/1989), qui choisit de positionner ces deux femmes sur le canapé de son atelier, qu’elle appelle le « canapé de l’amour ».

L’amour peut être, aussi, politique, comme une vitrine nous le démontre, nous montrant John Lennon (1940-1980) & Yoko Ono (°Tokyo/1933), qui attendaient les journalistes, en 1967, dans leur chambre d’hôtel, à Amsterdam, à une époque où les « hippies prônaient l’amour libre, rejetant le mariage traditionnel et l’institution de la famille.  Engagés contre la guerre au Vietnam, le mouvement « hippie » décrétait : « Faites l’amour, pas la guerre ». Ainsi, l’amour était devenu une question politique.

Une installation vidéo saisissante, choquante à première vue, « In Love » (2001), de Patty Chang (°San Leandro/ Etats-Unis/1972) nous montre l’artiste avec sa mère, sur un premier écran, et son père, sur un second. Bien qu’ils semblent s’embrasser passionnément, soulevant des questions taboues sur l’inceste, ils mangent en fait un oignon, en le passant d’une bouche à l’autre. Projeté à l’envers, cette expérience s’en trouve intensifiée.

Avec notre compatriote Joëlle Dubois (°Gent/1990), réalisatrice, à Oostende, d’une immense fresque murale colorée, dans cadre du projet de « Street Art » intitulé « The Crystal Ship », nous découvrons, avec « Anonymous »  (2014), l’intimité d’un couple dans une piscine, à l’heure des tablettes numériques, soulignant, ainsi, la nature transactionnelle d’un moment intime, alors qu’avec « Bad Post Sex Habits JPG 1 », Joëlle Dubois nous montre un couple du XXIè siècle, récupérant d’une relation sexuelle, avec, chacun, un portable à la main … Où reste donc l’émotion, après l’acte ???

Remontant le temps, à l’entrée de la dernière section de l’exposition, nous admirons des oeuvres « pop art », en plexiglas de l’époque « hippie » révolutionnaire due à l’artiste namuroise, trop tôt décédée dans un accident de la route, Evelyne Axell (1935-1972), dont son « Joli Mois de Mai » (1970/photo en début d’article), qui n’est pas sans nous rappeler l’ambiance du « Festival de Woodstock » (1969).

Maintenant, si l’amour, force centrale de la société, est toujours d’actualité, 54 ans plus tard, la présente exposition nous montre que des discriminations persistent. 

Quelle place pour les gestes de l’amour dans l’espace public ? Durant ses pérégrinations dans la Ville de Beyrouth , un artiste interdisciplinaire libanais, Omar Mismar (°Taanayel/Liban/1986) a noté les moments où il peut donner la main à son ami, ce qui est possible quand la voiture roule, mais impensable à l’arrêt. D’où son oeuvre :  « A Hands Routine », les lignes rouges, tracées sur la carte, représentant des moments de liberté et d’affection, indiquant que  les deux hommes se tiennent la main. Les lignes vertes et bleues indiquant des moments de retenue, symbolisant respectivement le désir et la nécessité de lâcher prise. 

Avec émotion, nous découvrons une série de clichés de la photographe américaine Nan Goldin (°Wahington DC/ 1953), qui nous livre une série de dix portraits d’un couple homosexuel, « Gilles & Gotscho », réalisés dans  les  années sida, jusqu’à la mort, en 1993, de l’un d’entre eux, des suites de sa maladie.

Dans la dernière salle, nous découvrons, entre autres, extraite d’une performance, un cliché du photographe bolivien Tony Suarez, réalisé devant les gardes de la « Plaza Murillo », à La Paz, une création, provocante pour certains, due à l’imagination d’une artiste mexicano-bolivienne, Adriana Elena Bravo Morales (°1972), qui écrit : « Je suis une artiste transdisciplinaire qui travaille entre le Mexique et la Bolivie et qui produit des œuvres allant du dessin traditionnel à l’animation élargie, ainsi que des propositions électroniques, avec des ‘Arduinos‘ (plateforme de prototypage open-source, qui permet aux utilisateurs de créer des objets électroniques interactifs/ndlr). Mon objectif est de produire des images qui rendent visibles les pouvoirs patriarcaux. »

« Bozar » a invité deux artistes - l’un, belge, Kasper Bosmans (°Lommel/Bel./1990) & l’autre américaine, Julianne Swartz  (°Phoenix/USA/1967) – à créer pour l’occasion de nouvelles œuvres, visibles dans la première et la dernière salle de l’exposition. Les autres œuvres de l’exposition ont toutes été prêtées par plus de 80 collections publiques  ou privées, certaines provenant directement des ateliers des artistes. 

La seconde artiste citée,  Julianne Swart est la créatrice de « We complete », une installation sonore, qui referme l’exposition, avec un choix de citations sur le thème de l’amour ayant été enregistré par des enfants et des  adolescents, les textes traitant de la gentillesse, de la tolérance et de l’acception de l’autre.

Cette installation participative est activée en nous asseyant sur un banc et en joignant ses mains à celles d’autres personnes, cet acte de toucher déclenchant un courant électrique, qui se connecte à un haut-parleur. « C’est un poème parlé sur la communauté aimante, l’indépendance, l’acceptation et la compassion », explique Julianne Swartz, qui ajoute : « Les enfants et les adolescents sont notre avenir et ils hériteront de notre monde ».

Les scénographes de « L’Équipe » et les designers du studio graphique « Esther Le Roy » ont été inspirés par le point de départ historique de l’exposition, les structures en forme de tentes rappelant les rassemblements "hippies" et les modes de vie apparus dans leur sillage, ainsi que le lit à baldaquin d’une chambre à coucher, suggérant la délimitation ténue entre espace intime et espace public, la typographie reprenant celle des plaques de rues de  Haight-Ashbury, un quartier de San Francisco, épicentre du « Summer of Love », durant l’été, en 1969, qui vit des milliers de jeunes, du monde entier, se réunirent librement, pour une vivre nouvelle expérience sociale, faisant ainsi découvrir la culture hippie au grand public.

Il ne nous reste qu’une semaine, pour découvrir plus de 120 oeuvres (films, installations, peintures, photographies, sculptures & vidéos) de 80 artistes, originaires de 27 pays, réalisées dans les 60 dernières années, qui nous offrent une multitude de points de vue sur ce sentiment qui est, à la fois, universel et unique. Toutes et tous ont montré, tout au long de leur pratique, un intérêt explicite pour l’amour, sujet crucial pour beaucoup.

Ouverture : jusqu’au dimanche 05 Janvier, ce mardi 31 décembre, de 10h à 16h, de ce jeudi 02 à ce dimanche 05 janvier 2025, de 10h à 18h (fermeture le mercredi 01 janvier 2025). Prix d’entrée (billets décernés jusqu’à une heure avant la fermeture de l’exposition) : 16€ (14€, dès 65 ans / 8€, de 18 à 30 ans / 2€, de 6 à 17 ans / 0€, pour les moins de 6 ans). Accessibilité PMR : contacter « Bozar », la veille de votre visite. Contacts : 02/507.82.00 &  tickets@bozar.be. Site web : https://bozar.be/fr.

Avec un billet d’entrée pour « Love is Louder », accès gratuit à « Bozar Arcade », pour « Love and Emotions in Video Games », un espace dédié aux jeux vidéo, aux arts numériques et interactifs, sur le thème de l’amour et des émotions dans les mondes virtuels.

Une autre importante exposition est à découvrir, à « Bozar », jusqu’au dimanche 19 janvier 2025 : « Hans/Jean Arp et Sophie Taeuber-Arp. Friends, Lovers, Partners ». Un tarif spécial est prévu pour la visite combinée des deux expositions.

Yves Calbert.

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