De la BD au Film : "Yakari"

écrit par YvesCalbert
le 15/08/2020

Le 12 décembre 1969, dans l’hebdomadaire suisse « Le Crapaud à Lunettes », deux auteurs suisses, le  dessinateur Claude de Ribaupierre (°1944), alias « Derib », et le scénariste André Jobin (°1927), dit « Job », unirent leurs talents pour donner naissance à « Yakari », le premier album étant édité par « Dargaud », en avril 1973.

Ensemble, ils furent les auteurs de 38 albums, le 39è , en 2016, voyant le scénariste français Joris Chamblain  prendre la relève de « Job », « Derib » étant le dessinateur des 40 albums édités, le dernier« L’Esprit des Chevaux », l’ayant été, en 2019, par « Le Lombard », qui avait reprit l’édition de « Yakari », depuis le 25è tome, en 1999, « Casterman » ayant été l’éditeur de 1977 (3è album) à 1998 (24è), les 40 tomes étant, maintenant, édités par "Le Lombard".

Notons que « Derib » remporta de nombreux Prix, ayant été récompensé 4 fois au « Festival de la Bande dessinée d’Angoulême », dont deux fois, avec « Job », pour « Yakari », en 1983, pour le tome 6 : le « Prix Alfred Enfant » et, en 2006, pour le tome 31 : le « Prix Jeunesse 7-8 ans », ayant reçu, en 1978, le « Prix du meilleur Dessinateur étranger » et, en 1998, le « Prix oecuménique de la Bande dessinée », pour son « one shot »  intitulé « Pour toi Sandra ».

Bruxelles, il remporta, en 1975, le « Grand-Prix Saint-Michel », pour le tome 1 de sa série « Budy Longway ». En Allemagne, en 1994, il reçut le « Prix Max et Moritz de la meilleure Publication de Bande dessinée », pour l’un de ses albums western, « Red Road ». Enin, en 2019, l’ « Académie suédoise de la Bande dessinée » lui octroya son « Prix Adamson du meilleur Auteur international pour l’Ensemble de son Oeuvre ».

Après avoir terminé ses études secondaires, ce citoyen suisse – dont le pèreFrançois de Ribaupierre était un  artiste peintre – devint, à 19 ans, Bruxellois, travaillant dans une maison de publicité, avant d’apprendre l’art de la  BD, chez « Peyo » (Pierre Culliford/1928-1992), le secondant dans la réalisation de planches des « Schtroumpfs », perfectionnant son apprentissage autodidacte au contact de ceux qui devinrent ses amis, André Franquin (1924-1997), « Gos » (Roland Goossens/°1937), « Greg » (Michel Greg/1931-1999), « Hergé » (George Remi/1907-1983), « Jijé » (Joseph Gillain/1914-1980) et François Walthéry (°1946).

Très attaché à l’humain, étant l’un des fondateurs, en 1989, de l‘association « Fondation pour la Vie », il est l’auteur  de bandes dessinées traitant de sujets tels que le sida (« Jo »/1991/Ed. « Le Lombard »), la prostitution (« Pour toi Sandra »/1996 « Dérapages »/2009/Ed. « Mouvement du Nid ») ou la délinquance (« No Limits »/ 2000/Ed. « Le Lombard »). Aussi, pour cet attachant auteur, « Yakari » est une série nécessaire pour, comme il aime le dire : « (lui) permettre une sorte de récréation entre deux albums plutôt réalistes. »… Par ailleurs, à « bdtheque.com »« Derib » confia que se sont ses lectures de « Corentin chez les Peaux-Rouges », de Paul Cuvelier (1923-1978) et de la série des « Jerry Spring », de « Jijé », qui lui donnèrent son intérêt pour la Culture amérindienne.

A noter, que c’est son envie de mettre la nature en valeur qui l’incita à « éclater » son découpage, « Buddy Longway » (Ed. « Le Lombard ») étant l’une des premières séries où l’on voit le dessin « sortir des cases », faisant de lui l’un des novateurs de la BD.

« Job », quant à lui, avant de venir s’établir à Nîmes, poursuivit ses études à Lille, y étant diplômé de l’« École supérieure de Journalisme » et de l’« Institut des Sciences sociales et politiques ». Outre deux Prix, partagés avec « Derib », au « Festival de la Bande dessinée d’Angoulême », il obtint, en 1991, une « Maîtrise d’Honneur pour l’Ensemble de son Oeuvre », au « Festival de la Bande dessinée de Sierre ».

Soulignons que « Yakari » fut aussi le nom d’un mensuel, qui, créé, en 1974, par« Job »cessa de paraître en 1995tous les épisodes des aventures de « Yakari » y ayant été publiés, jusqu’au tome 22, « La Fureur du Ciel ».

Mais venons en au premier long-métrage consacré à « Yakari », sortant cette semaine en salles : « Yakari, la grande Aventure » (Toby Genkel & Xavier Giacometti/Fra.-All.-Bel./2019/78′).

Synopsis : « Alors que la migration de sa tribu est imminente, 'Yakari', le petit Sioux part vers l’inconnu pour suivre la piste de 'Petit-Tonnerre', un mustang réputé indomptable. En chemin, 'Yakari' fera la rencontre magique de 'Grand-Aigle', son animal totem, de qui il recevra une superbe plume… et un don incroyable : pouvoir parler aux animaux… »  

Avis de la Presse :

– par Fabienne Bradfer, pour « Le Soir » : « Le cinéma pour ‘Yakari’, c’est une première. Et visuellement, c’est une réussite. La transposition (de la BD) au cinéma fonctionne parfaitement… L’histoire, tout en douceur et 100% positive est enfantine, mais c’est joliment efficace pour le jeune public. Le film qui invite à vivre en harmonie avec ce qui nous entoure devrait donc toucher sa cible en plein coeur… (Son) but, c’est de montrer le respect de la nature, des animaux et de soi-même. »

– par Gilles Tourman, pour « Les Fiches du Cinéma » : « Une superbe adaptation de la BD éponyme. »

– par Renaud Baronian, pour « Le Parisien » « Remarquable et dépaysant, ce film d’animation plein de jolis messages reste fidèle tant à l’esprit de la BD comme de la série, tout en enrichissant son graphisme : les enfants vont adorer. »

– par Thibault Liessi, pour « Le Dauphiné Libéré » : « Le film a un point fort : une direction artistique maîtrisée, loin des codes de l’animation 3D à la façon des Shrek. »

– par Yannick Vely, pour « Paris-Match » : « Un film parfaitement adapté pour les petits (et les grands) enfants…  tendre fidélité graphique à l’oeuvre originelle. »

– par Xavier Leherpeur, pour « Closer » : « Le scénario est à l’image de son héros : fougueux et malicieux. »

– par sa Rédaction, pour « Voici » : « Un joli film à l’animation sobre et colorée. »

Ce mardi 12 aoûtManon Botticelli, de « France Télévisions », écrivait : (Ce film) « est tiré du tout premier album de ‘Derib’ et ‘Job’‘Yakari et Grand Aigle’, publié en 1973. L’occasion de présenter le personnage à une nouvelle génération d’enfants et d’installer les principaux axes narratifs, notamment le don qu’obtient ‘Yakari’ de parler avec les animaux et son amitié avec ‘Petit Tonnerre’, le mustang le plus rapide de la plaine. » 

Xavier Giacometti qui avait, dès 2005, réalisé quelques 152 épisodes télévisés de « Yakari » – lui confia : « Ce qui est fort dans ce que ‘Derib’ et ‘Job’ ont créé, c’est que ‘Yakari’ peut évoluer sur tous les supports… 0n s’est dit que ‘Yakari’ était fait pour le cinéma. Tous les ingrédients sont là : les grands espaces, l’aventure et ce monde sauvage, vu à travers les yeux d’un petit Sioux de six ans… Mais c’était un rêve, un rêve complètement fou ! L’idée a fait son chemin. »

notre collègue Cédric Lépine, pour « Médiapart », Xavier Giacometti tint à délarer : (‘Yakari’ est« une  urgence. La réflexion sur nos modes de vie. Un équilibre à trouver entre nos tentations de posséder et nos besoins réels, la gestion de nos ressources. Nos rapports aux autres, les accepter comme ils sont. Le respect de tout ce qui nous entoure. »

« Je crois que la première fois que j’ai lu ‘Yakari’, c’est assis par terre, dans une bibliothèque municipale. ’Yakari’  avait une place à part, avec ses pages aérées, d’une extrême lisibilité. Cette saga était un éveil au monde, une initiation à la grande aventure, à la vie. Avec sa narration réaliste, cinématographique même, cette œuvre est aussi, pour les enfants, une ouverture vers d’autres lectures plus matures de la BD franco-belge… La narration BD de ‘Derib‘, au contraire, ouvre une troisième dimension, vers un monde plus vaste, aux horizons lointains. Le film rend hommage à cela, aussi. »

« Cette œuvre a cinquante ans aujourd’hui, mais reste intemporelle. ‘Yakari’ est une âme pure, désintéressée, d’une grande générosité. Ce n’est pas un super-héros : il se trompe, subit l’échec, doute. Il jouit d’une incroyable liberté de parole et de déplacement pour un enfant de son âge. Son monde est en même temps réaliste et onirique. Les rêves, la magie, le merveilleux côtoient le quotidien, ne font qu’un. Les Sioux prennent les rêves très au sérieux. Comme dit ‘Roc-Tranquille’, le vieillard de la tribu : ‘La sagesse vient des rêves’. C’est pour cela que notre film commence par un rêve de ‘'Yakari’… Ce qui me plaît aussi, surtout, c’est que la relation de ‘Yakari’ au monde est basée sur le respect. »

(‘Yakari’ c’est« un éveil au monde, un voyage initiatique qui touchera toutes les générations. L’univers de ‘Yakari’  se raconte comme un hymne à la nature encore vierge, un paradis perdu qui nous enchante mais qui nous adresse un message : ‘il y a urgence à prendre soin de notre terre, elle nous nourrit et nous émerveille'. »

Sur un plan techniqueXavier Giacometti ajoutait : « J’étais très heureux que la production reste en Europe. Cela permit un meilleur contrôle de la qualité et du sens de ce que l’on avait à raconter… Pour créer une sensation de profondeur avec les décors 2D, on utilise de nombreux niveaux de profondeur. Ensuite, on vient placer les personnages en images de synthèse. Par rapport à la série télé, la technologie a évolué et nous avons pu profiter de nouveaux traitements d’image. Pour être le plus fidèle possible au trait de ‘Derib’, nous avons utilisé un logiciel révolutionnaire pour générer des pleins et des déliés, comme s’ils avaient été tracés à la main ».

A Christel Chabert, de « France Télévisions »Guillaume Poyetresponsable de la musique du film, confia :  « Ce qui me touche, c’est qu’enfant, je lisais les BD de ‘‘Yakari’, que  mon père m’offrait ». Tout en n’oubliant pas banjos et guitaresmonde amérindien oblige, il fit appel à des instruments à vent, des flûtes et des percussions. Si des…  caillouxmorceaux de bois et autres objets de la nature furent utilisés pour le bruitage, afin d’évoquer l’eau, le tonnerre, le vent, …, il eut recours à un orchestre allemand de 70 musiciens, pour couvrir les grands espaces et les scènes épiques.

De son compositeurXavier Giacometti n’hésita pas à déclarer : « Guillaume a un grand sens des arrangements, de la mélodie, sachant toujours trouver les sonorités qui collent à chacun des personnages, à leurs émotions. »

Dans le « Mad » du « Soir », ce mercredi 13 aoûtFabienne Bradfer évoquait sa rencontre avec « Derib », lui demandant si "Yakari" était facile à animer et si ce film pouvait offrir une nouvelle jeunesse à un personnage qu’il avait dessiné une première fois, alors qu’il travaillait pour « Peyo »entouré de « Schtroumpfs » : « Non, car il a été créé pour la BD, pas pour l’animation. Contrairement à ‘Mickey’ ou ‘Donald’. Les animateurs ont eu du mal avec la tête de ‘Yakari’ et il a fallu que je collabore activement pour qu’on arrive tous à retracer graphiquement ses émanations. Il y a eut un travail au fil des années, pour améliorer la chose et, avec la 3D, on a réussi quelque chose de sympa, qui me convient mieux que pour la série télé… (Ce film) maintient, je crois l’intérêt que nous avons maintenu depuis 50 ans… De nos jours, il y a une crise de la BD… Une série qui  n’est pas relayée par la télé ou le cinéma a bien du mal à survivre… »

Quant à la question de Fabienne Bradfer concernant ses projets, il répondit : « Ce sera le 41è album‘Le Fils de  l’Aigle’, où l’on retrouvera les personnages phares du film… ‘Yakari’ (étant) le seul à pouvoir sauver un aigle… 'Job' a 92 ans, il est fatigué. Et s’il y a un 42è album, ce sera avec Giacometti, qui est aussi dessinateur. Il est tellement plongé dans ‘Yakari’ depuis 15 ans, qu’il est la personne, avec moi, la plus proche du personnage. Je lui fais une confiance totale. »

… Ainsi donc, ce sera l’un des deux réalisateurs du film qui deviendrait l'un des deux auteurs de la série BD  « Yakari »… Un bien beau duo d’auteurs en perspective ! … Longue vie à « Yakari », en n’oubliant pas ce que « Grand Aigle » lui dit, dans le film : « celui qui fait le bien autour de lui est un brave », ce qui constitue l’ADN de « Yakari »...

Alors, bien vite, allons découvrir la série de péripéties, qui entraîne « Yakari » dans ce voyage initiatique, porté par de superbes paysages nimbés de lumière, les couleurs évoluant en fonction de l’état d’esprit de notre petit Sioux.

Yves Calbert.

 

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