BD : "Le Conquérant" ("Jhen"), signé Valérie Mangin et Paul Teng, chez "Casterman"
« Chef-d’oeuvre du XIe siècle, la ‘Tapisserie de Bayeux’ a une valeur documentaire exceptionnelle pour la connaissance de son époque. Elle offre à celui qui la découvre pour la première fois un tel foisonnement de détails sur les personnages, les vêtements, les bâtiments, les navires, qu’il peut se perdre dans cette toile qui peut être considérée comme la première bande dessinée du Moyen Âge. » © Ed. « Orep », éditeur normand, au service de la valorisation de la Normandie.
Ainsi considérée par certains comme étant la 1ère bande dessinée du Moyen-Âge (voire de l’histoire), cette même v« Tapisserie de Bayeux » a inspiré les auteurs du Tome 18 de « Jhen », dessiné par le Rotterdamois Paul Teng et scénarisé par la Bayeusène Valérie Mangin, qui en ont fait le« fil rouge » de leur histoire intitulée « Le Conquérant », en allusion à Guillaume 1er, appelé « Guillaume le Bâtard » ou« Guillaume le Conquérant » (ca 1027 - 1087), Roi d’Angleterre (1066-1087) et Duc de Normandie (1035-1087).
Synopsis :« Dans l’Abbaye aux Hommes, à Caen, des Anglais assassinent un moine et s’emparent des reliques de Guillaume le Conquérant. Venu à la rescousse, Jhen Roque est emmené de force à Bayeux. Il y découvre que le Duc de Bedfford, le commanditaire du vol, est fasciné par la magnifique tapisserie qui raconte la conquête de l’Angleterre par les Normands, avec la bataille d’Hastings, en 1066. Mais sa convoitise va se heurter à des événements aussi étranges que terrifiants… Et si le Conquérent revenait de l’au-delà pour reprendre ce qui lui appartenait…
Leur récit débute en juilet 1435, à Caen, la« Ville aux cent Clochers », actuel chef-lieu d’arrondissement du Calvados, un Département qui fut libéré par lesBritanniques, le 08 juin 1944, alors qu’au XIè siècle, les Anglais étaient dirigés par le 7è Duc de Normandie, Guillaume le Conquérant, qui devint Roi d’Angleterre, jusquà son décès, la « Tapisserie de Bayeux » nous contant les évènements de la conquête de l’Angleterre, avec 626 personnages, 202 chevaux et mulets, ainsi que 41 navires, tous brodés, sur une longueur de 70 mètres…
… Bien sûr, nous comptons beaucoup moins de personnages dans la BD de Valérie Mangin et Paul Teng, mais en pages 21, 22 et 23, plusieurs cases dessinées par ce dernier reprennent des détails de cette illustre tapisserie…
Clin d’oeil à notre actualité, en p. 16, Jhen s’exclame : « Vous l’avez ‘confinée’ dans sa chambrette », évoquant la belle Adèle, autre héroïne fictive de ce récit… Et en parcourant les pages de cet album, en découvrant des acteurs de rues en pleine action, nous aurons une pensée émue pour ces comédiens contemporains, comme ceux de « Namur en Mai », qui, depuis la mi-mars, ne peuvent plus s’exprimer face à leur public…
Mais retour au XIè siècle, en appréciant que l'horreur de supplices ne soit pas imagée, mais simplement laissée à notre imagination, par cette simple phrase, prononcée par une spectatrice d'une séance publique de tortures, aboutissant à une exécution, page 26 : "Il est déjà tout rompu", Jhen disant à Adèle : "Vous pouvez levez les yeux, ce malheureux a fini de souffrir."
C'était une époque où des croyances religieuses laissaient place à l'inexplicable, ce qui nous ramène au créateur de la série, le Strasbourgeois Jacques Martin (1921-2010), qui pouvait mêler le fantastique au réel, ce qu'ont très bien repris les actuels repreneurs de l'oeuvre du maître...
Justement, présentons ce duo, qui, pour la 1ère fois ont uni leurs talents pour créer un album de la série « Jhen » :
*** le dessinateur néerlandais Paul Teng (°Rotterdam/1955), qui signe, ici, son 3è album de « Jhen », après deux tomes réalisés sur des scénarios de Jean-Luc Cornette et Jerru Frissen, les N° 16 et 15, ayant été, pour ce dernier ouvrage, « Les Portes de Fer », le lauréat, à Bruxelles, en 2016, du « Prix du meilleur Auteur néerlandophone », et avoir été récompensé, aux Pays-Bas, en 2013, du« Prix Stripschap pour l’ensemble de son oeuvre ».
A noter qu’ayant entammé des études d’Anthropologie Culturelle, il les interrompit pour se consacrer entièrement à la bande dessinée.
Parmi ses autres ouvrages, citons, édité en 2018, par « Glénat », « Livingstone », sur un scénario du Français « Rodolphe » (Rodolphe Daniel Jacquette), une BD à (re)lire actuellement vu que ce médecin-missionaire, David Livingstone (1813-1873) rencontra Henry Morton Stanley (1841-1904), employé, au Congo, par le Roi Léoplod II,… dont il est beaucoup question ces derniers jours…
Il est aussi le scénariste et dessinateur des 4 tomes de la série « Delgadito », créée en 2017 et éditée par « BD Must », ainsi qu’édités par « Le Lombard », les 5 tomes de chacune des séries « L’Ordre impair » (2004 à 2008), scénarisés par l’Espagnole Cristina Cuadra Garcia et le Tournaisien Rudi Miel, et « Shane » (de 1998 à 2002), sur des scénarios du Belgo-Français Jean-François Di Giorgio.
« Casterman », en 2009, édite « Le Téléscope », un« one shot », qu’il dessine, sur un scénario de Jean Van Hamme, un « monument » de la bande dessinée, lui qui, en 2015, fut anobli, au titre de « Chevalier », par le Roi Philippe, et fait, en 2012, à Paris, « Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres », étant le lauréat d’une multitude de « Prix », en Allemagne, en Espagne, en France, à Monaco, en Suède et en Belgique.
Parmi eux, notons trois « Alph Art du Public », au « Festival d’Angoulème », en 1989 et 1996, pour deux tomes de « Thorgal » (une série que Jean Van Hamme créa en 1980, avec le dessinateur Grzegorz Rosinski, et dont il scénarisa le 29 premiers tomes, édités par « Le Lombard »), ainsi qu’en 1996, pour « L’Affaire Francis Blake », avec Ted Benoît aux dessins, la 13è enquête de « Blake et Mortimer » (Ed. « Blake et Mortimer »), personnages créés, en 1950, par Edgar P. Jacobs (1904-1987), à l’époque édité par « Lombard ».
Mais revenons au dessinateur de « Jhen ». Pour« Planète BD », Benoît Cassel écrit :« Paul Teng est un honnête continuateur de la griffe artistique initiée par Jacques Martin. Si le style est différent (moins ligne claire), son trait réaliste est en revanche d’une grande justesse, tant dans les proportions, les postures et les mouvements des personnages, que pour la majesté des décors, détaillés et nombreux. »
De son côté, Jacques Schraûwen écrit : « D’album en album, son trait devient plus aérien, ai-je envie de dire, il quitte de plus en plus les chemins balisés d’une certaine ligne claire pour se permettre des jeux de mouvements, de regards, d’apparences, qui rythment le récit et lui donnent une vie qui n’a rien de statique. »
Sur le site d’ « Auracan.com », nous lisons : « Paul Teng a pris ses marques dans l’univers de Jhen et son trait et ses encrages, un peu plus rudes que ceux des autres dessinateurs de la série conviennent idéalement à l’époque dépeinte, tout en respectant la création de Jacques Martin. »
N’oublions pas la mise en couleurs, fort bien réussie, due à Céline Labriet, qui a pu restituer au mieux l’ambiance pensée par Jacques Martin et, ensuite, par Jean Pleyers, maîtrisant talentueusement les jeux d’ombres et les reliefs.
*** la scénariste française Valérie Mangin (°Nancy/1973), devenue une authentique Bayeusaine, ce qui lui permet une parfaite connaissance de la « Tapisseie de Bayeux » et de l’histoire de Bayeux. Détentrice d’un baccalauréat scientifique, elle remporta, en 1990, en version latine, un « Prix au Concours général ». Ayant soutenu, à Paris, à l’ « Ecole nationale des Chartes », une thèse d’histoire des institutions de l’époque moderne (« De la Grande Chancellerie au ministère de la Justice {1774-1792} »), elle reçut le titre d’archiviste-paléographe, lui ouvrant les portes de la fonction publique. Dans le même temps, à la « Sorbonne », elle suivit des cursus en histoire et en histoire de l’art.
Si elle signe, ici, son 1er scénario pour la série « Jhen », soulignons que, depuis 2012, elle vit dans l’univers de Jacques Martin, ayant signé tous les scénarios des 10 albums de la série « Alix Sénateur », créée en 2012, éditée par « Casterman », le 10è et dernier tome, « La Forêt Carnivore », venant d’être édité, comme « Le Conquérant », en date du 03 juin 2020, ces deux ouvrages, fort de ses compétences en histoitre de l’art, nous offrant un intéressant mélange entre la réalité historique et l’imaginaire, le personnage fictif « Jhen » étant, comme elle, un passionné d’art…
A noter que si « Jhen » fut en contact, imaginaire, avec Jeanne d’Arc, l’historienne Valérie Mangin s’intéressa particulièrement à la « Pucelle », puisqu’elle scénarisa deux albums intitulés « Jeanne d’Arc », édité, en 2011, par « Dupuis », et « Moi, Jeanne d’Arc », édité, en 2012, par « Des Ronds dans l’O », tous deux dessinés par la Parisienne Jeanne Puchol.
Ayant été la scénariste de plus de dix séries, soulignons qu’en 2019, elle épousa un collègue, auteur de BD, le Parisien Denis Bajram, qu’elle avait rencontré un an plus tôt, lors d’une séance de dédicases, alors qu’elle était encore étudiante à l’« Ecole des Chartes ». Ainsi, Valérie Mangin, repris à son époux la scénarisation de la série « Les Mémoires mortes » qu’il avait créé, en 2000, aux Ed.« Les Humanoïdes associés ». En 2010, tous deux signent – avec Fabrice Neaud secondant Denis Bajram pour les dessins -, « Trois Christ », nous replongeant en 1353, avec, autour de vénération du « Saint Suaire » – tout comme dans la série « Jhen » –, un sculpteur médiéval pour héros, cet ouvrage étant édité par les Editions françaises « Soleil », sous le label « Quadrant Solaire » que ce couple créa, en 2005, ce label étant à l’origine de leur Maison d’Edition belge « Quadrants », qu’ils créèrent, en 2007, alors qu’il travaillaient, à Bruxelles, au Studio « L’Etuve ».
*** Et pour nos lecteurs qui ne connaissent pas cette série, précisons qui est son héros, Jhen Roque. Maître architecte et maître sculpteur, qui parcourt la France, ayant essayé, en vain, de libérer Jeanne d’Arc (ca 1412-1431), la veille de son exécution. Se liant, ainsi, pour un temps, d’amitié avec le ténébreux Gilles de Rais, compagnon d’armes de « La Pucelle », ayant réellement existé, lui aussi, contrairement à Jhen, créé, en 1978, par Jacques Martin, pour les scénarios, et Jean Pleyers, pour les dessins.
Ensemble, ils signeront les 9 premiers tomes de la série, Jacques Martin étant secondé, aux scénarios, par Hugues Payen, pour les tomes 10 et 11, ce dernier devenant le seul scénariste des tomes 12 ert 13. Les autres scénaristes furent Jerry Frissen et Jean-Luc Cornette, pour les tomes 14, 15 et 16, ainsi que le Tuninien « Néjib » (Néjib Belhadj Kacem) pour le tome 17. Quant au Verviétois Jean Pleyers, co-créateur de la série, il dessina encore les tomes 11, 13, 14 et 17, les dessins des tomes 10 et 12 ayant été réalisés par le Bruxellois Thierry Caiman.
*** Quelques mots sur Jacques Martin, qui, créateur d’ « Alix » (1948), « Lefranc » (1952),« Jhen » (1978) et de quatre autres séries, assista « Hergé » (Georges Remy/1907-1983) pour ses titres « L’Affaire Tournesol » (1956), « Coke en Stock » (1958), « Tintin au Tibet » (1960), « Les Bijoux de le la Castafiore » (1963) et « Vol 14 pour Sydney » (1968), tous ces albums ayant été édités par « Casterman ».
Sa principale série « Alix », traduite en plus de10 langues, a été vendue, dans le monde, à 15 millions d’exemplaires. Ayant scénarisé et dessiné les 18 premiers tomes, victime d’une dégénérescence maculaire, il fut secondé, pour les dessins, pour le tome 19, par Jean Pleyers. Ensuite, ne pouvant plus dessiné, Jacques Martin demeura l’unique scénariste de la série, jusqu’au tome 24, étant ensuite secondé par différents auteurs, jusqu’au tome 28, édité quelques mois avant son décès.
Fait « Commandeur dans l’Ordre des Arts et des Lettres », à Paris, en 2005, il est le lauréat de nombreux Prix, tel celui « de la meilleure Oeuvre réaliste française », au « Festival d’Angoulème », en 1978, pour le tome 13 d’ « Alix », « Le Spectre de Carthage ». A Bruxelles, en 1979, il reçut le « Prix Saint-Michel du meilleur Scénario pour l’Ensemble de son Oeuvre », et, en 2003, le « Grand-Prix Saint-Michel pour l’Ensemble de son Oeuvre ». N’oubions pas, non plus, que pour « Le Cheval de Troie », le tome 19 d’ « Alix », il obtint, en 1989, à Grenoble, le « Prix de la BD d’Or », au 1er « Salon européen de la BD ».
Assurément, pour la présente série « Jhen », Paul Teng et Valérie Mangin sont ses dignes successeurs, en notant que cette dernière participe, sans dénaturer l’oeuvre de Jacques Martin, à la modernisation des scénarios, désormais plus courts, plus efficaces pour les lecteurs du XXIè siècle.
Longue vie à « Jhen » et bonne continuation à Paul Teng et Valérie Mangin.
Yves Calbert.