BD : "Bruxelles 43" (Baudouin Deville et Patrick Weber / Ed. "Anspach")
Après leurs deux premiers ouvrages, « Sourire 58 » et « Léopoldville 60 », également édités par « Anspach », Baudouin Deville et Patrick Weber viennent de signer « Bruxelles 43 », sous titré « La Vie à Bruxelles sous le Joug allemand », le coloriage ayant étant confié à Bérangère Marquebreucq.
Synopsis : « Dans ce récit en temps de guerre, nous retrouvons Kathleen, 15 ans plus jeune que lorsqu’elle devint l’une des hôtesses d’accueuil de l’ « Exposition Universelle », en 1958, avant de devenir hôtesse de l’air de la « Sabena », en 1960. A ses côtés, nous vivons dans notre capitale occupée, une ville bombardée, dans laquelle se succèdent les raffles anti juifs, la presse résistante s’organisant… »
Notons que le récit commence en 1960, à l’époque où Kathleen travaille pour la « Sabena ». Aidant sa mère, Guillemette Van Overstraeten, pour ranger leur grenier, à Bruxelles, elle y découvre, dans une malle, une visioneuse « View Master », si populaire à l’époque, avec des images en relief de l’ « Expo 58 », un bon souvenir pour elle, ainsi qu’une poupée, une BD d’ « Hergé », « Le Trésor de Rakham le Rouge » (Ed. « Casterman »/1945) et, surtout, son attention est attirée par des planches originales de bandes dessinées - titrées « Adolf et Herman, son berger allemand » - qui étaient destinées à la presse clandestine, durant la seconde guerre mondiale, ainsi qu’un message destiné à son père : « Fernand, je te confie mon travail. Tu es la seule personne en laquelle j’ai confiance. Je sais que tu en prendras grand soin. Merci à toi ! » (p. 04), une découverte qui la replonge, en pensées, à ce qu’elle vécut en 1943 (dès la p. 05).
Sous les dessins, tout au long de l’album, des présisions sont données, aidant nos amis français et suisses, voire québécois, à bien suivre le récit. Ainsi, il est écrit que l’« Innovation est un grand magasin construit par l’architecte Victor Horta » (p. 05), que (p. 07) le « peket (est un nom) donné au genièvre, dans la Région walonne », que « boche, chleu (sont des) termes péjoratifs pour désigner une personne d’origine allemande ».
Et si un jour, à Bruxelles, vous entendez certains termes, les auteurs vous en offrent les traductions : « speerlapen » équivaut à « salopards », « smokkelers » à « trafiquants », « potferdekke » à « non d’un chien », « potverdomme » à « sacrebleu »,… les significations d’autres termes typiquement bruxellois étant révélées au fil des pages.
A ce niveau, signalons une amusante réplique à la bruxelloise (p. 34) : « on va leur en foutre une bonne pinte de zwanze (humour gouailleur associé à Bruxelles) à ces chleus ! »
… Et si la BD se termine à la page 54, un dossier pédagogique de 8 pages suit, rédigé par le journaliste-scénariste-historien Patrik Weber, précédant 2 pages révélant les noms des 479 contributeurs à cette édtion participative. Un bien beau succès, puisqu’à la clôture, le 24 avril 2020, 30.821€ avaient été récoltés, pour un objectif de 15.000€. Comme quoi la bande dessinnée passionne toujours de nombreux Belges !
Notons que cet album se révèle être, aussi, un hommage à la bande dessinée belge de l’époque. Ainsi, dans ce dossier, nous trouvons 3 illustrations de l’ancien hebdomadaire de BD « Bravo », nous présentant les aventures de « Sindbad le Marin » et, surtout, le « Rayon U » (créé pour « Bravo »,… en 1943/édité chez « Lombard », en 1974/évoqué à la p. 22 de "Bruxelles 43") qui, précédant l’arrivée de « Blake & Mortimer » (« Le Secret de l’Espadon »/Ed. « Lombard »/1950), fut le 1er album de science-fiction signé par Edgar P. Jacobs (1904-1987).
Ce dernier intervient à plusieurs reprises dans le récit, voulant aider le dessinateur des planches originales trouvées dans le grenier familial. Nous le voyons, aussi, à plusieurs reprises, en compagnie d’« Hergé » (Georges Remy/ 1907-1983/créateur de « Tintin »/Ed. « Casterman »/1930), le dessinateur, Baudouin Deville, faisant ainsi, honneur à la ligne claire, si chère à « Hergé », une case (p. 43) de « Bruxelles 43 » nous montrant ces deux collègues et amis déambulant, côte à côte, dans une rue de notre capitale.
La carrière d’Edgar P. Jacobs est même évoquée, lui qui provenait de l’opéra, s’étant produit à « La Monnaie », à « L’Alhambra », à « L’Ancienne Belgique »,… , son salaire au niveau de la BD étant même évoqué (p.22) : « Dès le 1er janvier, Jacobs commencera à tavailler avec ‘Hergé’, pour un salaire de 4.500 francs belges par mois » (- de 113€/ndlr).
Le « Journal de Spirou » et « Tif et Tondu au Congo » (P. 06) sont également évoqués, en images, dans cet album, « Le Petit-Vingtème », « Tintin », « Valhardi » et « L'Epervier bleu » étant cités dans le texte, de même que "Flash Gordon" (p.22), repris par Edgar P. Jacobs.
Si ce récit nous montre l’horreur du bombardement de Bruxelles (p. 28-29), il nous permet de vivre le quotidien des Bruxelllois, pendant l’occupation, utilisant les timbres de rationnement (p. 18), pour l’achat de nourriture, ou prenant un verre dans un établissement bien connu, jouxtant la « Bourse », « Le Cirio » (p. 17/l’« half and half » étant évoqué, avec sa composition, à la p. 23), voire se promenant près du « Château du Karreveld » (p. 33) ou devant la fontaine des contes d’Egmont et de Hornes, au « Petit Sablon » (p. 40). Par ailleurs, nous apprenons que sur la Grand’ Place, se tenait un marché aux oiseaux (p. 12), alors que le cinéma « Eldorado » (p. 23/ l’actuel « UGC-De Brouckère ») accueillait Zarah Leander, une actrice et chanteuse suédoise, égérie du cinéma allemand, pendant la période du nazisme.
Quant au « marché noir », auquel certains recouraient, il est doublement évoqué, en images (p. 35-36) et au sein du dossier, Patrick Weber lui consacrant une page entière (p. 56), ce qui prouve le côté éducatif de cet album qui mérite d’être utilisé dans le milieu scolaire.
« Je ne comprends pas grand-chose à la guerre », pense Kathleen, âgée de 12 ans, alors qu’elle découvre une affiche sur un mur : « Finis les mauvais jours ! Papa gagne de l’argent à la guerre ! », une bien curieuse publicité…
Nous noterons qu’une rue bien connue, pour hébeger, de nos jours, au N° 16, le cabinet de notre 1er ministre, était, en 1943, le site, au N° 06, de l’« Ortskommandantur » (p.13). Par ailleurs, connaissez-vous la définition de « Bankster » (p.24) ? Il s’agit d’un terme inventé par le parti rexiste, contraction de banquier et de gangster, utilisé par Léon Degrelle, lors de la campagne électorale de 1936.
Au niveau de la presse, les auteurs évoquent (p. 17) le « Brusseler Zeitung » : journal quotidien publié en langue allemande de 1940 à 1944, à l’initiative des forces occupantes, ainsi que « Signal » : magazine collaborationniste diffusé dans les zones ocupées.
Mais il est également question d’un faux numéro du quotidien « Le Soir », publié le 9 novembre 1943, à la place du journal officiel (« Le Soir volé », comme on l’appellait), dirigé par les Allemands. A ce propos, © Y. Machado, pour « BD Gest », écrit : « Une fine équipe de professionnels des médias, composée d’un linotypiste, d’un rotativiste, d’un imprimeur, de nombreux diffuseurs ainsi qu’une taupe au sein de la principale rédaction wallonne, réalisent un faux exemplaire du quotidien « Le Soir » (ou « Le Soir volé », eu égard à la parution collaborationniste). Ce spécimen va être distribué à l’ensemble des aubettes (kiosques) des dix-neuf communes de la Région Bruxelles-Capitale (une notion qui n’existait pas à l’époque, la dite Région étant fondée en 1989/ndlr), avant que l’original ne soit livré. Cet incroyable acte de résistance tourne en dérision l’envahisseur. C’est la célèbre 'zwanze' bruxelloise ! »
Mais si vient, enfin, la liesse de la libération (p. 50), ce thriller se poursuit… Bonne lecture !
Ce qu’en pense © « Planète BD » :
« Si, à cette époque, la BD est encore perçue comme un divertissement pour enfants, elle sera également une échappatoire pour certains et un moyen d’expression contestataire pour d’autres. L’intrigue de cette histoire tragique est inspirée de faits historiques. Comme dans les précédents albums, les auteurs se sont documentés avec beaucoup de sérieux sur le contexte historique, ce qui a le mérite d’asseoir la crédibilité du scénario et son intensité. Le graphisme s’inscrit dans la tradition de la ligne claire avec un dessin académique particulièrement réaliste. »
Concernant les auteurs :
– Baudouin Deville (°Liège/1956), le dessinateur : ayant poursuivi des études de graphiste et d’illustrateur, à l’ « Académie des Beaux-Arts », à Saint-Gilles, sous la direction d’Eddy Paape (Édouard Paape/1920-2012/ dessinateur des séries « Marc Dacier » et « Luc Orient ») et au « CAD » (« College of Art & Design »), à Bruxelles, il est titulaire d’un graduat en gestion d’Entreprises, décerné par l’« IPHEC » (« Insitut Pratique des Hautes Etudes Commerciales »), à Woluwe-Saint-Pierre.
Il débute sa carrière aux Ed. « Bédéscope », puis « Récréabull », avec la série « L’Inconnu de la Tamise » (1984-1986), avant de gagner les Ed. « Dargaud », avec « Les Esclaves de la Torpeur » (1988-1989).
Employé en agences de pubcité, à Bruxelles et à Paris, il crée le studio graphique « Traits Graphic Design ». Aux Ed. « Paquet », il publie « Continental Circus » (2015), retraçant la carrière de légendaires pilotes de motos, la préface étant signée par Giacomo Agostini, détenteur de 15 titres de Champion du Monde. Cet ouvrage, dont il est aussi le scénariste, lui permet de remporter, en 2011, le « Grand-Prix BD-Moto », au « Festival de Saint-Dié-des-Vosges ». Pour suivre, chez ce même éditeur, il publie la trilogie « Rider on the Storm » (2012-2015).
– Patrick Weber (°Bruxelles/1966), le scénariste : lauréat, en 2011, du « Prix du Roman d’Aventures », pour « L’Aiglon ne manque pas d’Aire » (Ed. « du Masque »), auteur des textes de « La grande Histoire du Journal de Mickey de 1934 à nos Jours » (Ed. « Glénat »/2014), il fut, durant cinq ans, jusqu’en janvier 2019, l’animateur, titilleur de l’info, d’ « On refait le Monde », sur « Bel RTL », où il fut chroniqueur royal de 2011 à 2018. En 2019, il rejoint la « RTBF », en radio, sur « Vivacité », avec « C’est pas fini », présentant, en télévision, « Le Temps d’une Histoire ».
Ayant poursuivi des études d’Histoire de l’Art et d’Archéologie, il est l’un des fondateurs, à Bruxelles, du « Salon du Livre d’Histoire » et du « Club de l’Histoire », ayant signé, en 2019, chez « Michel Lafon », « Bruxelles Omnibus », une étonante découverte de tous les trésors de la Capitale européeene, à travers les arrêts des transports en commun de la « STIB », déclarant à un collègue de la « DH » : « J’ai envie qu’en lisant mes lignes, les gens soient fiers de leur ville. » De fait, peu de Bruxellois connaissent l’origine de noms de stations, comme « Bascule », « Ma Campagne », « Héros », …
Dans son roman « Maggie, une Vie pour en finir » (Ed. « Plon »/2018), Patrick Weber part sur les traces de sa grand-mère et de ses origines familiales, nous conduisant d’Altrincham à Manchester, de Londres à Bruxelles, d’Antwerpen aux camps de concentration… En mars 2019, il devient comédien, créant, avec Vincent Taloche comme metteur en scène, son 1er « seul en scène » , au « Théâtre Mercelis », poursuivant, aussi, sa carrière de scénariste de bandes dessinées, avec « Sang de Sein », édité, en 2018, chez « Vents d’Ouest », avec l'appui du scénariste français « Nicoby » (Nicolas Bidet), … et ce alors que nous pouvons le voir sur une vidéo publicitaire ventant les mérites d’une bière trappiste,… authentiquement belge…
Pour en revenir à leur nouvelle bande dessinée, bien évidemment, il n’est pas question de dévoiler, ici, le déroulé de l’intrigue, parfaitement décrite au sein d’une BD qu’il convent de parcourir dès que possible : « Bruxelles 43 » (Ed. « Anspach »/octobre 2020/cartonné/64 p./24 x 32 cm/14€50), un thriller qui revient sur ce que les Bruxellois ont vécu durant la seconde guerre mondiale…
Yves Calbert.