"Frank Pé par-delà la Bête", au "Grand Curtius", à Liège, jusqu'au 19 Février

écrit par YvesCalbert
le 11/02/2023

Nous pouvons, jusqu’au dimanche 19 février, nous retrouver en pleine jungle de Palombie, afin de rencontrer le  « Marsupilami » (« Marsupilamus fantasii »), qui – créé par André Franquin (1924-1997), au sein de la BD « Spirou  et les Héritiers » (1952), obtint sa propre série, en 1987, sous le coup de crayon de « Batem » (°Luc Collin/ Kamina-Congo /1960) et le scénario de « Greg » (°Michel Regnier/1931-1999) – a trouvé une nouvelle vie, quelque peu plus sauvage, grâce à Frank Pé (°Ixelles/1956 ), ce dernier et son « Marsupilami » étant superbement exposés, au  « Grand Curtius », à Liège, au sein de l’exposition « Frank Pé par-delà la Bête », scénographiée par Christian Antoine, administrateur-gérant de l'asbl "Sur la Pointe du Pinceau", créée en 1999 & Frank Pé, lui-même.

« Ici, j’avais l’idée d’un animal sauvage acculé dans un coin, malheureux et légèrement menaçant. Le symbole négatif de la cage. Le fond rouge exprime la colère de ‘La Bête’ et la queue, mobile dans tout l’espace, une menace supplémentaire. Les bras, posés sur le sol façon gorille ou chimpanzé, nous rappellent des animaux connus et renforcent la crédibilité de cet animal inventé, ou presque. C’est ‘Zidrou‘ (son scénariste, né Benoît Drousie/  Anderlecht/1962/ndlr), à qui j’avais envoyé le projet définitif, qui a suggéré la bouche légèrement ouverte montrant les dents. C’était la touche finale, détail indispensable. C’est bien plus tard que j’ai réalisé que cette couverture était faite des trois couleurs noir, jaune, rouge, couleurs du drapeau belge. La Belgique, et Bruxelles, qui sont presque des personnages de cette histoire touchante et truculente », écrit Frank Pé.

Sa connaissance du monde animal, qu’il n’a cessé de côtoyer pendant 45 ans de carrière, lui a permis de donner une nouvelle vie à l’une des plus incroyables créatures de la bande dessinée belge, dont les albums sont édités par « Dupuis », une maison d’édition de Marcinelle, qui vient de fêter son 100è anniversaire.

Les oeuvres exposées nous étant présentées en avant-première, en prélude à la publication du Tome 2 de « La Bête« , au sein duquel le « Marsupilami » de Frank Pé nous révèlera de nouveaux pans étonnants de son animalité, afin de présenter « La Bête », lisons le synopsis du Tome 1 (Ed. « Dupuis« /2020) : « Capturé, en pleine Palombie, par des Indiens Chahutas et vendu à des trafiquants d’animaux exotiques, un ‘Marsupilami’ débarque dans les années 50 au port d’Anvers. Réussissant à s’enfuir, il arrive dans la banlieue de Bruxelles et est recueilli par  François, un jeune garçon fan d’animaux, dont le quotidien est loin d’être facile. »

Critiques de la presse, concernant l’édition de ce Tome 1 de « La Bête » :

- pour « L’Echo » :  » ‘Zidrou’ (le scénariste/ndlr) offre à Frank Pé un bel hommage à l’animal fantastique, créé par  Franquin, le dessinateur laissant parler son sens du détail et de la maîtrise du dessin animalier. »

- par Baptiste Liger, pour « Technikart » : « Un authentique bijou, l’un des plus beaux albums de la rentrée. »

- par François Lestavel, pour « Paris-Match » : « Frank Pé propulse cet album vers des sommets graphiques. »

- par Philippe Belhache, pour « Sud Ouest » : « Magistral. »

Outre la présentation de « La Bête », l’exposition liégeoise « Frank Pé par-delà la Bête » remonte le fil rouge animalier de l’œuvre de ce brillant dessinateur, de « Broussaille » à « Zoo » et de « Spirou » à « Little Némo », ainsi que toutes ses autres incursions dans les domaines aussi variés que le dessin animé, l’illustration ou la sculpture,  ses fresques, débordantes d’animaux en mouvement, étant des odes à la vie.

Lorsque nous évoquions André Franquin, notons que Frank Pé, dans la série « Le Spirou de … », des Editions  « Dupuis », avait, également sous le scénario de « Zidrou », dessiné un « one shot » des aventures de « Spirou » :  « La Lumière de Bornéo » (2016), un album superbement présenté au sein de « Frank Pé, au delà de la Bête », nous dévoilant un « Spirou », portant des lunettes (mais oui, il n’a plus 20 ans, cet héros mythique, crée, en 1938, par « Rob-Vel »/Robert Velter/1909-1991).

Concernant ce « one shot », Frank Pé écrivit : « C’est André Franquin qui m’a quasiment éveillé à la bande dessinée, avec une ouverture du coeur qui m’est restée jusqu’à maintenant, et qui n’a fait que s’amplifier au fil des ans. L’envie de faire un ‘Spirou’ m’a toujours titillé, … (mais) surtout, il ne s’agit (pas) de faire du Franquin, mais de faire du ‘Spirou’, tout simplement, à ma manière, … d’animer un personnage positif crédible qui va parler à mes contemporains. »

Face à cette vitrine, consacrée à son « Spirou », soulignons la présentation d’une commande de la « Galerie 9ème Art », à Paris, « Little Némo », une interprétation dessinée d‘ « Art nouveau », « hymne à l’onirisme et à l’enfance », éditée en deux tomes par « Toth » (« Wake up ! »/2014 & « Keep on dreaming »/2016), et ré-éditées, en un tome, par « Dupuis », les dessins et scénarios étant de Frank Pé, qui nous offre son clin d’oeil au « Little Nemo »  du dessinateur américain Winsor McCay (entre 1867 et 1871-1934), une oeuvre originale fort bien présentée au  « Musée de la Bande dessinée » (« CBBD »), à Bruxelles.

Dans une vitrine, en pensant qu’à Bruxelles, 2023 est l’ « Année de l’Art nouveau », nous découvrons, aussi,  « Manon », inspirée, de l’oeuvre d’un peintre-illustrateur de l’ « Art nouveau », Alfons Maria Mucha (1860-1939),  Frank Pé ayant réalisé un superbe triptyque, intitulé « Manon et les Guépards ».

Sur des scénarios de Philippe Bonifay (°Toulon/1959), dans la collection « Aire Libre », des Editions « Dupuis »,  Frank Pé dessina, également, les trois tomes de « Zoo » (1994, 1999 & 2007), « une aventure humaine prenante et émouvante , unique en son genre, tant par son décor, la beauté de ses animaux, l’ambiance hors du temps qui y règne, que par l’épopée qui s’y déroule », où nous retrouvons l’une de ses égéries, dont il apprécie réaliser de forts jolies aquarelles et autres sérigraphies, particulièrement lumineuses, où on la voit, en coloris minimalistes,  pudiquement  nue, naturelle, au milieu des animaux.

Outre des peintures et des sculptures de Frank Pé, nous trouvons, enfin, le personnage qui fit sa renommée,  « Broussaille », qui connu cinq aventures, éditées par « Dupuis », de « Les Baleines publiques » (1987/ album  inspiré par un squelette de cet animal marin, qu’il découvrit, suspendu au-dessus de l’accueil du « Musée des Sciences naturelles » ) à « Une Faune sur l’Epaule » (2003), dont il rédigea le scénario, les quatre autres tomes  étant scénarisés par « Bom », « Broussaille » étant un « hymne flamboyant dédié à l’optimisme et au bonheur,  rayon de soleil, éclatant de joie de vivre et d’émerveillement« , … ce dont nous avons vraiment tous tant besoin ces derniers temps ! …

« Un des plaisirs du travail sur la lumière est d’aller un peu trop loin. Surexposer ou perdre dans l’ombre peut réveiller le fantastique qui sommeille en chaque image », écrivit Frank Pé, qui, ayant étudié trois ans à l’ « Institut Saint-Luc », à Bruxelles, commença à dessiner, en 1973, alors qu’il était toujours étudiant, dans « Spirou », l’hebdomadaire au sein duquel sa première BD, une « Belle Histoire de l’Oncle Paul », consacrée à Auguste Rodin, fut publiée en 1982.

Notons que « Broussaille » fut à l’origine du renommé « Parcours BD » bruxellois, Frank Pé ayant été le premier, en 1991 (restauration en 1999), à peindre une image de BD sur un mur de notre capitale, dans la rue du Marché au Charbon, à côté du légendaire café-brasserie « Plattesteen », nous montrant, sur un fond bleu cobalt (« couleur de rêve », selon lui), mis en abîme, « Broussaille » et son amie « Catherine » marchant en ce même lieu, la présente fresque étant même reproduite, en plus petit, à l’arrière plan.

Concernant ses sculptures, en bronze et en terre, Frank Pé écrivit : « Au départ, j’ai fait ces sculptures par plaisir. Mais de fil en aiguille, on en a  tiré des bronzes. Cette démarche est finalement assez juste puisque, dans ‘Zoo’, il y a un sculpteur animalier qui vit en 1914, à l’époque où Rodin et Bugatti, mes sculpteurs préférés, travaillaient … Et je tiens plus pour référence ces œuvres là que le contexte des objets BD actuels.« 

Notons que Frank Pé dessina des calendriers pour la « Fédération des Scouts catholiques de Belgique », ainsi que de nombreuses affiches, dont, en 2003, celle du « BIFFF » (« Brussels International Fantastic Film Festival »), ou encore, en 2005, pour le « Zoo d’Anvers », sans oublier celles qu’il réalisa pour promouvoir différentes expositions  de la bande dessinée belge, au « Lafayette Natural History Museum » et à l’ « Univerity of Louisiana », aux Etats-Unis, à l’ « Alliance française de Sydney », en Australie, ou encore à la « Hong-Kong Central Library », en Chine.

Côté cinéma, engagé, en 1996, comme « character designer », par la société californienne « Warner Bros », Frank Pé travailla sur le dessin animé « Excalibur », avant de collaboré, à Berlin, avec « Cartoon-Film », sur les longs-métrages allemands « Plume et l’Île mystérieuse » (Piet De Rycker & Thilo Rothkirch/2005/80′) et « Kleiner Dodo »  (Thilo Rothkirch & Ute von Münchow-Pohl/2007/75′).

Frank Pé travailla, ensuite, avec le studio belge « nWave », sur « Robinson Crusoé » (Vincent Kesteloot & Ben Stassen/Bel.-All.-Fra.-Sui.-USA/2015/90’/film lauréat du « Prix du meilleur Long Métrage d’Animation », décerné par « Studiocanal », en Allemagne), notre collègue Sophie Avon ayant écrit, pour « Sud Ouest » : « L’histoire du plus célèbre naufragé, revue et corrigée par les animaux qui l’ont vu débarquer sur leur île. Une animation en 3D, précise et stylisée ».

Revenant à l’exposition liégeoise, soulignons encore, encore, la présentation de son ambitieux projet, intitulé  « Animalium », qui nous proposera un regard résolument original sur le monde animal, via ce parc animalier, qui devrait être créé dans une ancienne carrière, sise à quelques kilomètres de Namur, un lieu idéal pour l’installation  d’un tel zoo thématisé mettant l’art animalier à l’honneur.

Jean Auquier, ancien conservateur du « CBBD », écrivit : « Depuis qu’il a découvert les zoos, il rêve d’en construire un à sa façon. Comment placer l’art au coeur d’une structure faite pour le bien être animal, assurant sa part de travail scientifique pour la sauvegarde des espèces et comment accueillir les visiteurs dans un projet qui, à tout instant, doit être créatif et harmonieux, porteur de valeurs ».

« Amoureux des formes et des couleurs qui nous entourent, admirateur de Franquin, Follet ou Mucha, Frank Pé est un créateur d’histoires et d’images exceptionnellement doué, … mariant avec bonheur l’émotion et la représentation de la nature.« 

Côté parcs animaliers, notons encore l’implication de ce brillant artiste pour « Pairi Daiza », à Brugelette, ayant réalisé des projets concernant, d’une part, un « bain des buffles », devant un temple indonésien, et d’autres part, un bain des éléphants, destiné à l’entrée du domaine.

Assurément, au « Grand Curtius », nous allons bien « au de-là de la Bête », en découvrant l’ensemble de l’oeuvre de Frank Pé, qui obtint :

1990 : pour le tome 3 de « Broussaille », « La Nuit du Chat » (scénario de « Bom » {Michel De Bom/°Uccle/1950}) : l’ « Aph’Art du Public » & le « Prix oecuménique de la Bande dessinée », au « Festival international de la Bande dessinée d’Angoulème », en France, qui fêtait, cette année, sa 50è édition.

1996 : pour « Zoo » (scénario de Philippe Bonifay {°Toulon/1959}) : « Prix Max Moritz », à Erlangen, en Allemagne. 

2002 : « Prix pour l’ensemble de son Oeuvre », au « Festival de la Bande dessinée et de l’Image projetée Quai des Bules », à Saint-Malo, en France.

Sur deux étages, cette intéressante exposition de plus de 300 oeuvres, nous présente des planches originales, des   agrandissements, quantité de croquis et de recherches, avec un double objectif : « Valoriser l’aspect spectaculaire  du travail de Frank Pé, et apporter une dimension pédagogique pour les visiteurs des écoles d’Art. »

Comme écrit dans le dossier de presse : « C’est l’occasion de voir : comment l’on élabore une planche, une histoire ; quelles sont les règles de la mise en couleurs, en BD ; quel sens cela a-t-il de créer du dessin figuratif dans le  contexte artistique contemporain ? « 

Notons dans nos agendas, que le dimanche 19 février, de 11h à 12h, à l’occasion du finissage de l’exposition, une  visite de clôture sera guidée par la commissaire de l’exposition, Lydia Simon, licenciée et agrégée en Histoire de l’Art et Archéologie, à l’ « ULiège »,professeur d’Histoire de l’Art et de Philosophie à l’ « Institut Saint-Luc », à Liège.

Ouverture : jusqu’au dimanche 19 février, du mercredi au lundi, de 10h à 18h. Prix d’Entrée (n’incluant pas les collections permanentes) : 5€ (0€, pour les étudiant.e.s). Affiche de l’Exposition : 2€. Contact : 024/221.68.17 &  infograndcurtius@liege.be. Site web : http://www.grancurtius.be.

Plus généralement, soulignons que le « Fonds de Planches originales de Maîtres du Neuvième Art du Cabinet des Estampes et des Dessins », du « Musée des Beaux-Arts » de Liège, a été reconnu, en 2019, comme « Trésor de la Fédération Wallonie-Bruxelles », une belle reconnaissance de la dynamique transversale existant au sein des musées de la Ville de Liège, destinée à mettre en valeur la création en BD.

Créé dans les années ’70, ce « Fonds de Planches originales » réunit, aujourd’hui, près de 300 planches originales de dessinateurs et scénaristes reconnus, parmi lesquels Didier Comès, François Craenhals, Yvan Delporte, André Franquin, Jean Graton, Michel Greg, René Hausman, « Hermann » (Hermann Huppen), Edgar-Pierre Jacobs,  « Hergé » (Georges Remi), Edgar-Pierre Jacobs, « Jijé » (Joseph Gillain), Raymond Macherot, Jacques Martin, « Morris » (Maurice de Bevere), « Peyo » (Pierre Culliford) & Maurice Tillieux.

Concernant le « Grand Curtius » – dont le coeur est le « Palais Curtius » , demeure patricienne, édifiée entre 1600 et 1610, sous la conduite de l’architecte liégeois Jean De Corte (dit Curtius/1551-1628) – notons qu’il s’agit d’un  musée d’art et d’histoire, rassemblant, sur plus de 5.000m2, de riches collections, réparties en cinq départements :  Archéologie, Armes, Arts décoratifs, Art religieux et Art mosan, ainsi que Verre, cette dernière section étant fermée, jusqu’à la fin des travaux du nouveau tram liégeois.

Pour en revenir au « Marsupilami », celui d’André Franquin, signalons que le « Musée de la Bande dessinée » (« CBBD »), à Bruxelles, nous propose, jusqu’au dimanche 16 avril, « The Houba Show », ce musée ayant consacré, de mars à septembre 2016, une superbe exposition, intitulée « Frank Pé ou les Passions de la Faune ».

… Par contre, pour « Frank Pé au-delà de la Bête », n’oublions pas qu’il ne reste qu’une semaine, au « Grand Curtius », à Liège, pour découvrir le travail, dessiné, peint et sculpté, de ce grand auteur de la BD belge.

Yves Calbert.

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