"Shin hanga - Les Estampes modernes du Japon (1900-1960)", au "Musée Art & Histoire", à Bruxelles
Précipitons-nous au « Musée Art & Histoire » (« MRAH ») afin de découvrir, d’ici le dimanche 15 janvier, la fort belle exposition « Shin hanga – Les Estampes modernes du Japon (1900-1960) ».
A peine avons-nous franchi l’entrée de l’exposition que nous voyons, sur grand écran, un court-métrage muet, en noir et blanc, nous présentant le Japon au début du XXè siècle.
En exposant six estampes, la première salle nous rappelle une précédente exposition de ce musée, « Ukiyo-e, Chefs d’Œuvre de l’Estampe japonaise », avec la présentation de six oeuvres, parmi celles-ci – faisant partie de l’importante collection de 7.500 estampes Ukiyo-e du « Musée Art & Histoire » -, la célèbre oeuvre de Katsushika Hokusai (1760-1849), « Dans le Creux d’une Vague au Large de Kanagawa » (1831).
Ensuite pas moins de 220 estampes japonaises – provenant de deux collections privées des Pays-Bas, ainsi que des croquis, épreuves et estampes, provenant, essentiellement, de la collection de Shoichiro Watanabe, le petit-fils de l’éditeur Shōzaburō Watanabe (1885-1962) – nous sont présentées, dans un ordre chronologique de leur réalisation, ces œuvres étant complétées par un choix d’estampes Shin hanga de la riche collection du « Musée Art & Histoire ».
Ces estampes Shin hanga sont réparties dans différentes sections, certaines avec les mentions « avant 1923 » ou « après 1923 », le tremblement de terre du Kanto, le 1er septembre 2023 (quelques images de ce séisme étant projetées au sein de l’exposition) ayant tout anéanti à Tokyo, Yokohama et à l’entour, détruisant près de 600.000 édifices, et causant la mort de 141.720 personnes (rapport officiel du 30 août 1926 ), le feu ayant emporté toutes les estampes, le bois d’impression et le matériel de Shōzaburō Watanabe, qui réussit, néanmoins, à relancer son entreprise, deux ans plus tard.
A noter que cet important éditeur commença sa carrière en produisant des estampes Ukiyo-e, vu le succès de celles-ci auprès des Européens, la classe moyenne, toujours plus prospère, à cette époque, pouvant se procurer des oeuvres, leurs tirages en série, dès 1916, jusqu’à 100.000 exemplaires, pour certaines, rendant leurs prix plus accessibles.
Ayant dû, néanmoins, diminuer la production xylographique des estampes « Ukiyo-e », due à la concurrence des nouvelles techniques importées, telles que la photographie et la lithographie, Shoichiro Watanabe, reste le plus grand promoteur du mouvement Shin hanga, ayant rassemblé autour de lui des artistes dont il fit réaliser les dessins selon les techniques traditionnelles de l’impression sur bois.
Vint l’époque des estampes Shin hanga (« nouvelles estampes », en français), de plus grands formats, avec, notamment, une grande différences sans la manière de représenter la femme japonaise, très pudiquement, se regardant dans un miroir, se brossant les cheveux, …, avant 1923, dansant, buvant un cocktail, …, après 1923, les paysages – plus « saignants », occupant, désormais, l’entièreté de la feuille, sans être soulignés par un encadrement blanc – étant, également, particulièrement appréciés.
Néanmoins la 1ère section du mouvement Shin hanga, se limite aux années 1907-1915, avec les essais des éditeurs Kobayashi Bunshichi et Shoichiro Watanabe, ainsi que des artistes Takahashi Hiroaki (1871-1945) et Uehara Konen (1877-1940).
Vient ensuite la section des « Portraits de Femmes avant 1923 », soulignant l’utilisation d’une palette de couleurs douces, ainsi que l’horizontalité et la tranquillité qu’elle apporte, avec des estampes de Hasiguchi Goyo (1881-1921) et de Ito Shinsui (1898-1972), tous deux étant, aussi, réputés pour leurs paysages, dont nous retrouvons plusieurs exemples dans la section suivante, intitulée « Paysages avant 1923 ».
Parmi les estampes de portraits de femmes de ce dernier artiste, notons « Après le Bain » (1917), est considérée comme étant l’une des productions les plus représentatives du mouvement Shin hanga, dont le tirage ne dépassa pas 50 exemplaires.
« Je lui reconnais une certaine valeur, pour le rendu de la poudre de maquillage sur le cou, sans application de couleur, mais en faisant simplement usage de la couleur originale du papier », écrivit Ito Shinsui.
Au sein de la section « Paysages avant 1923 », ce même Ito Shinsui nous propose ses « Huit vues d’Omi », inspirées de la poésie et de la peinture chinois classiques, évoquant, ici, huit lieux proches du lac Biwa, près de Kyoto.
A la sortie de cette nouvelle section, dans laquelle nous avons pu, également, admirer des oeuvres de Kawase Hasui (1883-1957), ne manquons pas, sur un grand écran, d’assister à la projection d’un intéressant court-métrage documentaire (23′) sur la technique de réalisation des estampes, une salle étant dédiée à cette dernière.
Nous apprenons, ainsi, qu’autrefois, jusqu’à 9 planches de bois de cerisiers étaient utilisées pour la réalisation d’une seule estampe, chaque planche étant dédiée à une couleur. Le prix de ce bois ayant trop augmenté, le procédé de création des estampes évolua, utilisant, dans tous les cas, les outils présentés dans une vitrine.
Ainsi, nous voyons, outre l’indispensable ciseau du graveur, et une brosse hake en crin de cheval, un « baren », élément clef de la création d’estampes. De forme ronde, contenant des cordes faites de bandelettes d’écorce de bambou, il possède une poignée, l’importance de sa pression contre le dos de la feuille épaisse de papier – placée sur une plaque en bois, enduite d’encre – créant les contrastes des couleurs de l’estampe, selon qu’elles doivent être atténuées ou vives.
Dans la 4è section d’estampes Shin hanga, nous revenons aux « Portraits de Femmes », mais « après 1923 », avec une scène hivernale, nous présentant « La Jeune Fille Héron » (1922-1923), de Kitano Tsunetomi (1880-1947), dont la robe est la tenue traditionnelle d’un mariage shinto. Sur le plan technique, notons le bel usage du « gofun » (pigment blanc obtenu à partir de coquillages broyés) pour les flocons de neige.
De Torii Kotondo (1900-1976) nous admirons, entre autres, « Maquillage » (1929) – la structure granuleuse de l’arrière plan ayant été obtenue par l’imprimeur en appuyant fortement sur le papier avec le « baren », lors de l’impression -, et « Femme peignant ses Cheveux » (1933) – cette image plus traditionnelle de la femme japonaise attirant tant les collectionneurs occidentaux que japonais -, tous ses portraits renvoyant à l’ « iki », un idéal esthétique empreint d’un sens raffiné et discret pour le style et l’élégance.
De son côté, Ito Shinsui (1898-1978), aimant représenter ses « bijin » (jolies femmes) dans des scènes de toilette ou se maquillant, nous montre, notamment « Une femme se noircissant les sourcils » (1928) – supposé être le portrait de Mizutani Yaeko, actrice réputée de cinéma et de théâtre, dont sa peau pâle contraste avec le rouge profond du fond -, « Le nouveau kimono de coton » (1929), ou encore « Le long vêtement de dessous » (1927).
Au milieu de tous ces portraits de femme, la 5è section est consacrée aux hommes, sous le titre « Portraits d’Acteurs », qui rencontrent nettement moins de succès, puisque tirés à seulement 6.000 exemplaires, pour une clientèle locale, cette série d’estampes étant pourtant de haute qualité, nous proposant de découvrir des acteurs, fortement maquillés, ayant des traits particulièrement sévères, en fonction du théâtre japonais.
Parmi ces portraits, notons celui créé par Yamamura Köka (1885-1942), sous le titre, long, comme pour toutes les oeuvres de cette section : « Morita Kan’ya XIII dans le rôle de Jean Valjean (dans la pièce ‘Les Misérables’) » (1921), cet acteur étant l’un des promoteurs de l’introduction, sur la scène japonaise, du « kabuki » moderne et du théâtre occidental, l’artiste, quant à lui, suscitant un style plus occidental, en utilisant des ombres et des traits fins sur le visage et les mains de Jean Valjean.
Autre titre à ralonge : « Sawamura Sojuro VII dans le rôle de Narihira Reiza dans Koisogahara (acte III de la pièce ‘Fubukino no hana, Oshizu Reiza’) » (1927), une oeuvre de Natori Shunsen (1886-1960).
Dans un genre nettement plus poétique, la section suivante nous dévoile des « Fleurs et Oiseaux », créés, essentiellement, par Ohara Koson (1877-1945), avec ses « Faucon blanc » (vers 1912), « Hibou petit-duc, fleurs de cerisier et pleine lune » (vers 1926), « Deux corbeaux en vol par une nuit de pleine lune » (vers 1926), « Aigrette sur une branche couverte de neige » (vers 1926) ou encore « Cacatoès et grenade » (vers 1926).
Vient la section « Modernité », nous révélant le Japon de notre époque, avec des scènes urbaines, de danses, de cocktails, …, créées, avant tout, par Kobayakawa Kiyoshi (1899-1948), en soulignant le fait qu’un contraste est parfois représenté entre le traditionnel et le moderne, comme dans « Soir de printemps à Ginza » (1934), de Kasamatu Shiro (1898-1991), où des immeubles à l’éclairage moderne côtoient avec une échoppe à « sushis ».
Ce dernier est également mis à l’honneur au sein de l’ultime section, feu d’artifice de « Paysages après 1923 », au sein de laquelle nous trouvons, également, des oeuvres de Kawase Hasui (1883-1957), dont celles d’une série intitulée « Huit vues de Corée » (1939), la péninsule coréenne ayant été une colonie japonaise, de 1910 à 1945.
Notons que, d’après Shoichiro Watanabe, suite à la déclaration de guerre contre la Chine, en 1937, Kawase Hasui emmenait quelques-unes de ses estampes avec lui, lorsqu’il se rendait au front, afin de prouver aux autorités locales qui’il n’était pas un espion mais bien un artiste. De ses dessins de soldats au front, en Chine, « Crépuscule rouge » (1937) nous est montré à Bruxelles.
Avec sa création « Neige sur le pont sacré à Nikko » (1930), nous apprenons – grâce au « carnet du visiteur », offert à l’accueil – que, durant la période Edo (1603-1868), ce pont ne pouvait être emprunté que par les membres de la cour impériale et les hauts fonctionnaires venus rendre hommage au « shogun », qui contrôlait le Japon, jusqu’à la restitution du pouvoir effectif à l’empereur.
Quant à Yoshida Hiroshi (1876-1950), il édita lui-même, dans sa série « La mer intérieure » (1926), six estampes identiques, « Jonques », mais de couleurs différentes, selon la période du jour (matin, fin de matinée, après-midi, brume, soir et nuit). Ces six estampes portent bien, dans la marge, la mention « jizuri » (imprimé par l’artiste), contrairement à ses estampes éditées après son décès.
Enfin, dans une recherche d’offrir un caractère plus brut aux oeuvres du mouvement « Shin hanga », deux estampes de Shozaburo Watanabe, lui-même, signées sous le nom d’artiste « Kako », sont exposées : « Crépuscule sur le parc Nishi, Fukuoka » (1936) et « Le lac Kawaguchi » (1937)
Pour les familles avec des enfants (dès 8 ans), le « Musée Art & Histoire » propose un jeu-parcours, un livret spécial étant à demander à l’accueil, la recherche des estampes proposées au sein de ce livret permettant à chacun d’en connaître davantage sur les estampes japonaises exposées et sur la façon dont elles ont été réalisées.
Ouverture : jusqu’au dimanche 15 janvier, du mardi au vendredi, de 09h30 à 17h, le samedi et le dimanche, de 10h à 17h. Prix d’entrée (incluant un guide visiteur/40 pages): 16€ (12€, dès 65 ans / 6€, pour les étudiants, dès 18 ans ; les enseignants belges ; toute personne porteuse d’un handicap & un accompagnant, ce prix par personne / 0€, pour les moins de 18 ans & les détenteurs d’un « Museum Pass Musées ». Contacts : 02/741.73.02. Réservations & Paiement en ligne : reservations@kmkg-mrah.be. Site web : https://www.artandhistory.museum/fr/activity/shin-hanga.
Nous regrettons de n’avoir pas pu indiquer tous les titres des estampes, ni leurs auteurs, faute de n’avoir pas reçu le PDF de Presse du Catalogue. Voici qui constitue une raison de plus, pour vous, de visiter cette superbe exposition.
Du vendredi 31 mars jusqu’au dimanche 01 octobre 2023, le « Musée Art et Histoire » nous proposera sa nouvelle exposition « Expéditions d’Égypte », une expo majeure consacrée à l’histoire de l’égyptologie en Belgique.
Yves Calbert.