Des sommets arides couverts de neige artificielle: l’aberration écologique des JO d'hiver
Un ruban blanc serpentant au milieu de broussailles arides: l’image des pistes de ski alpin des JO-2022 captée depuis son vol vers la Chine par le Norvégien Kjetil Jansrud pourrait résumer “l’aberration” environnementale dénoncée par des experts.
Les Jeux de Pékin seront “verts” et “propres”, insistaient les organisateurs des JO d'hiver 2022, assurant que l’électricité consommée lors des épreuves olympiques sera entièrement d’origine renouvelable, “une première dans l’histoire”, ou encore que 85% des véhicules utilisés pour la quinzaine olympique rouleront à l’électricité ou à l’hydrogène.
À Zhangjiakou, la ville à 180 km au nord-ouest de Pékin où ont lieu les épreuves de ski nordique, de biathlon, de ski freestyle et de snowboard, pourtant, les sommets montagneux sont recouverts de neige artificielle. Si la région est froide, elle est également l’une des plus sèches du pays.
Pour compenser les émissions de carbone, les autorités y ont installé des forêts d’éoliennes pouvent produire 14 millions de kilowatts/heure. Les montagnes environnantes sont également recouvertes de panneaux solaires d’une capacité additionnelle de sept millions de kilowatts/heure tandis que 33.000 hectares de forêt et de végétation (47.333 ha à Pékin) ont été plantés depuis 2014.
Lorsqu’un pré-rapport du comité d’organisation a été publié mi-janvier, le CIO a souligné que “les principes de soutenabilité avaient été intégrés à toutes les étapes de la préparation des JO, pour minimiser les impacts négatifs des Jeux et maximiser les effets positifs”.
Mais ni le satisfecit du CIO, ni les mesures prises par les organisateurs ne rassurent les experts interrogés par l’AFP.
“Irresponsable”
“Organiser des JO dans cette région est une aberration, c’est irresponsable”, regrette la géographe Carmen de Jong, de l’université de Strasbourg, à propos du recours exclusif à la neige artificielle et donc à beaucoup d’eau pour enneiger des sites de compétition olympiques situés dans un climat aride/semi-aride, à seulement 1.500 km au sud-est du désert de Gobi.
“Nous sommes dans une région déjà en pénurie d’eau, c’est le problème principal”, poursuit-elle. “Selon des calculs très conservateurs, sur les dix sites de compétition de neige, à raison de 10.000 m3 de neige par hectare, il faudrait à peu près deux millions de m3 d’eau.”
“On a mis les Jeux d’hiver où on n’aurait pas dû mettre des Jeux d’hiver”, renchérit Martin Müller, de l’institut de géographie et durabilité de l’université de Lausanne (Unil). “On va déranger l’écosystème, il manquait une grande partie des infrastructures”, poursuit l’universitaire, qui déplore aussi l’absence de “transparence qui permettrait d’évaluer ces Jeux là par rapport aux autres en matière environnemental”.
S’il se garde de les présenter d’emblée comme les JO les plus dommageables pour l’environnement de l’histoire, Martin Müller rejette l’appellation de “Jeux verts”. “Ils ne seront pas parmi les Jeux les plus durables (...) la durabilité des Jeux est en train de baisser depuis les années 2010", rappelle-t-il en référence à ceux de Sotchi en 2014 et de Pyeongchang en 2018, et même ceux de Vancouver en 2010.
Nouvelle ère ?
L’exemple de Pékin avec son climat, certes déficitaire en précipitations et en neige, mais aux températures extrêmement basses, pourrait ouvrir une nouvelle ère, note de son côté Robert Steiger, de l’université d’Innsbruck. “À l’avenir, il se peut que les Jeux ne soient attribués qu’à des villes avec un climat très froid comme Pékin, car même sans neige naturelle, du point de vue du déroulement des compétitions, il n’y a aucun problème dans ce type de climat” sans chutes de neige soudaines ou réchauffement brutal des températures, explique l’universitaire autrichien.
Dans un contexte de raréfaction des villes candidates à l’organisation des JO d’hiver - deux pour les JO-2022, Pékin et Almaty - face aux coûts financier et environnemental, notamment en Europe, on est “à une bifurcation”, reconnaît Martin Müller.
“Est-ce qu’on accepte le principe de ne mettre que de la neige artificielle ? C’est une question politique qui élargirait le nombre de villes candidates, mais aussi une question complètement éthique et écologique”, note le professeur de l’université de Lausanne.
“Le prochain pas, c’est de dire: on n’a plus besoin des montagnes, on peut construire un truc artificiel, au Qatar je ne sais pas, si on peut climatiser des stades de foot (pour le Mondial-2022). À part pour la descente où il faut un dénivelé de 800 m, pour le reste, c’est jouable”, s’inquiète-t-il.