"Mars (1849-1912), Dessinateur et Collectionneur de Rops", à Namur, 05/05 (?)-17/05

écrit par YvesCalbert
le 13/04/2020

Né à Verviers, fils aîné d’une famille de dix enfantsMaurice Bonvoisin (1849-1912), devient, à 22 ans, le responsable de la filature familiale, vieille de 200 ans, suite au décès de son père, Mathieu Bonvoisin (1820- 1871).

C’est l’époque où, profitant de ses voyages d’affaires – en  Allemagne, en Autriche, en France, en Italie et au Royaume-Uni –, il commence à réaliser, en simple autodidacte amateur, sous le pseudonyme de « Mars », des  dessins et caricatures dans des journaux parisiens, comme, entre autres,« Le Figaro »« Le Journal amusant », « Le Charivari » et « Le Monde comique » ; au Royaume-Uni, dans « The Daily Telegraph »« The Graphic », « Punch » et « The Sketch » ; aux Etats-Unis, dans « The Examiner » et « The Truth » ; ainsi qu’en Belgique, dans « Actualité » et « L’Illustration nationale »

S’étant professionaliser, desssinant des scènes du réel avec esthétisme et précision, il céda les rênes de l’entreprise textile familiale à l’un de ses frères, en 1881.

Son pseudonyme de « Mars »Maurice Bonvoisin l’aurait choisi en référence au dieu romain de la guerre, dont une statuette ornait, en permanence, sa table de travail.

Annonçant la première intervention de « Mars »Eugène Philipon, directeur du « Journal amusant » (1856-1933), écrivait dans son hebdomadaire : « Un de nos amis, … vous fera prochainement entreprendre à sa suite, une série de voyages dans un fauteuil. Touriste passionné, notre collaborateur compte laisser ‘Le Journal amusant’ puiser dans les nombreux croquis de voyage qui enrichissent ses cartons. Avec ce guide à la fois humoristique et exact, nous visiterons successivement toutes les capitales, mises en scène dans une suite de dessins fantaisistes et pittoresques… »

De « Mars » lui-même, nous relevons son propos : « … le correspondant spécial parcourt le monde, de ci, de là, balloté par les événements – se faufilant partout, le crayon à la main… dans ses voyages en zig-zag… »

Auparavant, dès ses 11 ans, au « Collège de la Sainte Trinité », à Leuven, puis à l’ « Athénée Royal », à Liège, il illustre son cours de physique de compositions à l’encre de Chine. Aussi, de 1863 à 1871, pendant les vacances, il réalise son premier album de dessins, intitulé « Panthéon bourgeois », comprenant une soixantaine de portraits des membres de son entourage. 

C’est en 1874 qu’il rencontra Félicien Rops (1833-1898), de 16 ans son aîné, l’un des artistes belges à avoir réussi à Paris. L’ artiste namurois souhaitant, aussi, écouler ses œuvres en Belgique« Mars », figure atypique du 19è siècle, va entammer une collection, revendant, parfois, des dessins et gravures de « l’infâme Fély », des contrats pouvant être passés entre ces deux amis…

En échange, Félicien Rops soutient la carrière du jeune homme en lui apprenant l’eau-forte. Ainsi, en 1881, « Mars », s’étant laissé convaincre par notre peintre namurois, quitta sa ville natale, pour s’installer dans la Capitale française.

Parlant de lui-même, en 1875, dans « L’Art universel »Maurice Bonvoisin écrivait : « Le correspondant spécial parcourt le monde, de ci, de là, ballotté par les événements – se faufilant partout, le crayon à la main […] dans ses voyages en zigzags ».

Fréquentant le Salon de Madame Ménard Dorian, sa présence dans la « ville lumière »  lui permet de côtoyer de nombreux artistes, dont Alphonse Daudet (1840-1897), Edmond de Goncourt (1822-1896), Jules de Goncourt (1830-1870), Victor Hugo (1802-1885), Auguste Rodin (1840-1917) et Emile Zola (1840-1902).

Se faisant féliciter par Léopold II (1835-1909), à l’occasion de la sortie d’un de ses albums d’illustrations, intitulé « Aux Bains de Mer d’Ostende » (1885), il partage ses activités entre la réalisation de caricatures, d’illustations et de reportages journalistiquesson crayon étant l’appareil photograhique de son époque

Par ailleurs, à l’occasion de cette exposition, 3.500 lettres de Félicien Rops, dont 183 adressées à "Mars", viennent d’être mises en ligne par Émilie Berger et Coralie Massin. A chacun d’entre nous de consulter le site web : http://www.ropslettres.be, pour découvrir ce focus « Rops-Mars », la correspondance entre les deux hommes étant agrémentée de notices et de liens vers l’inventaire en ligne des collections du « Musée provincial Félicien Rops »… Voici, assurément, une bonne idée de lecture, durant cette longue période de confinement

Dans une lettre à Édouard Manet (1832-1883), Edgar Degas (1834-1917) écrivait : « Celui-là écrit mieux encore qu’il ne grave […]. Si l’on publie un jour sa correspondance, je m’inscris pour mille exemplaires de propagande ».

Dans le cadre de l’exposition « Mars (1849-1912). Dessinateur et collectionneur de Rops »183 lettres de Félicien Rops adressées à ce grand collectionneur et « diffuseur » de son art ont été recensées, parmi 3.500 lettres, qui viennent d’être mises en ligne. A nous de découvrir le focus « Rops-Mars », cette correspondance entre les deux hommes étant agrémentée de notices et de liens vers l’inventaire en ligne des collections du « Musée provincial Félicien Rops »… Voici, assurément, une bonne idée de lecture, durant cette longue période de confinement

Ce concernant, Edgar Degas (1834-1917) confia à Edouard Manet (1832-1883) : « Celui-là écrit mieux encore qu’il ne grave… Si l’on publie un jour sa correspondance, je m’inscris pour mille exemplaires de propagande. »

Ce corpus de missives constitue une source documentaire importante pour appréhender les choix techniques et les pratiques commerciales du peintre namurois. Il révèle, notamment, les dessous de la réalisation d'oeuvres majeures telle que « Pornocratès ». Ce chef-d’œuvre du Musée, connu également sous le titre de « La Dame au Cochon », est passé entre les mains de Maurice Bonvoisin avant que ce dernier ne lui trouve, en mai 1879, un nouvel acquéreur, le Liégeois Léon Lecreps. Voici un extrait d’une lettre illustrée que Félicien Rops adressa à « Mars », le 20 février 1879 :

« Je viens de terminer… un grand dessin bien curieux, je l’ai fait d’après le même modèle qui a posé pour le 'St. Antoine' et à l’aide du même procédé… Au fond je me fiche naturellement le plus franchement du monde des 'idées philosophiques' & je n’ai eu d’autre idée que de peindre 'mot à mot' une belle fille qui pour réjouir mes bons yeux de peintre s’était campée nue devant moi en gardant ses bas de soie ses gants noirs et son Gainsborough. C’est un peu classique, mais la fille est un modèle classique et je fais ce que je sens. Si Dieu me prête et si le Diable ne me gâte pas cette merveilleuse créature ce n’est pas la dernière fois que je la portraiturerai ! » 

Près de « Pornocratès » (que l’artiste nomme « Pornocratie »), le célèbre tableau de Félicien Rops, nous lisons : « Je suis heureux de voir la ‘Pornocratie’ rester en Belgique (si elle y reste!) et je te remercie de l’effort. Que c’est difficile de décider les Belges à quelque choses ! On achète ou on n’achète pas ! » (lettre de Félicien Rops à  « Mars »Bruxelles, 03 mai 1879).

Quelques autres citations :

« Tu as le trait graphique & tu pourras ici [à Paris] réussir absolument… » (lettre de Rops à « Mars », 1881).

« Le dessin du scandale est bien curieux et le seul que j’aie fait dans ces colorations là. Je suis certain qu’il va t’étonner à cause de son étrangeté » (lettre de Rops à « Mars »Paris, 23 avril 1879).

« Que les destins lui soient propice à cette « saisie » ! C’est le dessin somme toute « le plus voulu » que j’aie fait, je suis enchanté qu’il soit chez toi, car je crois, si je deviens quelque chose, & j’en ai la volonté, qu’il marquera comme époque » (lettre de Rops à « Mars », Paris, 03 juin 1877).

 «  ‘Mars’ est au suprême degré l’homme de son œuvre ; il est d’une amabilité, d’une gaieté, d’une volubilité extrêmes ; il respire la santé et l’humour » (Emile Bayard« La Caricature et les Caricaturistes », 1900).

 «  (‘Mars’) appartient à la jeune génération de dessinateurs humoristes, qui est venue renouveler, en ces dernières années, l’aspect des journaux amusants illustrés » (Henri Béraldi, « Les Graveurs du XIXè Siècle », 1889).

« … tu me ferais plaisir si tu voulais menvoyer un décalque du croquis de moi que tu as fait dans ‘Le Journal amusant’, à propos de l’  ‘Oliviérade’. Je dois faire un croquis de moi. Celui-là est ressemblant & ceux que je fais ne le sont pas »  (lettre de Félicien Rops à Maurice Bonvoisin/Paris/décembre 1879).

Parlant de lui-même, en 1875, Maurice Bonvoisin écrivait : « Le correspondant spécial parcourt le monde, de ci, de là, ballotté par les événements – se faufilant partout, le crayon à la main […] dans ses voyages en zigzags ».

« La Saisie » est la première oeuvre, une aquarelle et pastel, qu’il reçoit de Félicien Rops. Il le revend à un bibliophile, alors que d’autres créations de l’artiste namurois tardent à lui parvenir, ce dernier ayant contracté une fièvre typhoïde. Celle-ci étant oubliée, Félicien Rops lui fait parvenir une autre aquarelle intitulée  « Le  Scandale ».

A propos de cette dernière oeuvre, parmi les 183 lettres rédigées par Félicien Rops, à l’attention de « Mars », notons celle-ci, rédigée le 1er janvier 1878 : « …le sujet est : quatre vieilles hollandaises prenant le thé dans une maison bourgeoise & parlant d’un scandale – costume hollandais de ces petites bourgeoises de la Nord-Holllande dans laquelle j’ai tant rodaillé.C’est en couleur, sur papier Pelée, cela donne des tons spéciaux fort doux & des travaux intéressants. Je compte faire beaucoup de ces ‘Pelées’ dans la collection. »

Notons qu’à la même époque, l’artiste namurois écrivait cette autre missive à son correspondant : « J’aurai passé par des moments de gêne que je pourrais éviter, mais le résultat sera de faire ‘du vrai art’ & surtout ‘mon art’. J’aime mieux cela. Il n’y a que deux voies : gagner beaucoup d’argent en livrant des croquis comme vierge & tutti, ou faire de vraies choses d’art en gagnant beaucoup moins d’argent. J’ai pris le second parti & j’en suis aise. Je me tirerai toujours d’affaire ! Et j’ai le mépris de tout ce qui n’est pas de l’art, et de l’art vari lorsqu’on est en situation de pouvoir le faire. »

En 1888, dans « Les Mœurs et la Caricature en France »John Grand-Carteret (1850-1927) écrivait : « Séries de petits sujets, ses croquis sont presque toujours encadrés, ici dans un carré, là dans un rond ; ici large bande jetée en travers, là cadre haut et étroit. Seul, je crois, dans la caricature parisienne, il aime à dessiner les titres de ses pages, en une écriture et une séduction pittoresques […]. Epris de chic et de bizarrerie, aimant tout ce qui revêt une forme originale, very select dans le choix de ses personnages, comme dans la façon de présenter ses    croquis. »

Si, en France, le « Journal amusant » continue d’accueillir ses créations jusqu’à sa mort accidentelle, dès 1904, suite à l’apparition de la photographie, en 1904, la presse britannique se détourne de ses dessins.

Après le décès de Félicien Rops, en 1898, « Mars » liquide, petit à petit, sa collection, l’éditeur Gustave Pellet  (1859-1919) venant, souvent, puiser, dans ses cartons, des gravures et dessins. Le reste de sa collection est  vendu à la mort de Maurice Bonvoisin, en 1912, à savoir 174 oeuvres et livres, dont certains sont aujourd’hui conservés au « Musée provincial Félicien ».  

« Mars », entre industrielartistecollectionneur et marchand occasionnel, dû jongler entre le monde des affaires et la sphère artistique, sa carrière concentrant les possibilités et opportunités qui s’offraient, à l’époque, aux bourgeois-artistes.

La conservatriceVéronique Carpiaux, insiste sur le fait que : « Félicien Rops était considéré comme un « maître » pour certains jeunes artistes, dont Maurice Bonvoisin, les deux hommes ayant en commun une vision caustique de la société, qu’ils expriment, notamment, par le biais de la caricature ou de l’illustration, laissant libre cours à la critique et/ou à l’érotisme léger. »

A souligner l’édition, à un prix vraiment abordable (15€) d’un catalogue broché, richement illustré, qui, édité par la Province de Namur, bénéficie de la contribution de Bertrand Tillierprofesseur d’histoire contemporaine, à l’ « Université de Paris 1-Panthéon Sorbonne ».

Ouverture : dès la fin du confinement jusqu’au dimanche 17 mai, du mardi au dimanche, de 10h à 18h. Prix d’Entrée (incluant la collection permanente) : 05€ (2€50, pour les étudiants et les seniors / 1,50€, pour les moins de 12 ans & les « Art. 27 », par élève d’un groupe scolaire). Prix d’une Visite guidée (Prix individuel d’entrée non inclus/une heure de visite/maximum 25 personnes) : 40€. Catalogue : Ed. « Province de Namur » (Emilie BergerVéronique CarpiauxHervé de BonvoisinCoralie MassinBertrand Tillier/ broché/120 p./120 illustrations/15€). 

Pour ceux qui ne connaitraient pas encore le « Musée provincial Félicien Rops », notons qu’il a reçu, en 2007, un « Prix du Public », ainsi qu’en 2008 et 2014, deux « Prix du Musée », décernés par l’ « Openbaar Kunstbezit en Linklaters ». Depuis 2008, il est reconnu comme « Musée de Catégorie A », par la Fédération Wallonie-Bruxelles, ayant reçu, en 2016, le label « Destination Qualité walonne »  du « Commissariat au Tourisme » de la Région Wallonne, qui lui attribua, en 2018, 4 « Soleils », comme attraction touristique… Et un projet d'extension existe, pour ce superbe Musée, qui accueillit, en 2019, pas moins de 23.000 visiteurs

Si vous venez visiter son exposition « Mars (1849-1912), Dessinateur et Collectionneur de Rops », ne manquez donc pas de découvrir, également, sa collection permanente, … dès la fin du confinement pour raisons sanitaires.

Ce parcours de la collection permanente nous offre une approche complète de l’œuvre de Félicien Rops, dans sa diversité : les débuts dans la satire sociale et la caricature, la lithographie, l’esprit baudelairien, la vie parisienne, l’émergeance de l’oeuvre gravé, l’omniprésence de la femme, l’érotisme, les liens avec le monde littéraire, les voyages, …

Concernant l'exposition temporaire du Musée, un espoir existe de pouvoir en prolonger la durée. Afin d’en avoir une éventuelle confirmation, consultez le site web : http://www.museerops.be.

La prochaine exposition, « Un été impressionniste. De Rops à Ensor. Les Collections du Musée d’Ixelles », qui était programmée du 29 mai au 23 aoûtse déroulera en octobre 2021Félicien Rops, qui aimait peindre dans la nature, à la Mer du Nord, écrivit, en 1893 à Armand Rassenfosse (1862-1934) : « Mes dunes blanches, mes belles flamandes blondes, mes vastes horizons et la mer nacrée à nulle autre pareille, qui ont fait si longtemps ma joie, & qui la feront encore je l’espère ! »

Partant de son oeuvre « La Plage de Heyst » (1886), cette future exposition va établir les liens entre Félicien Rops et l’impressionnisme, puis définir cette notion à travers l’art belgejusqu’à son apogée, au début du XXè siècle. Puisant dans la collection léguée par Octave Maus (1858-1919), avocatcritique d’art et collectionneur d’oeuvres modernes, le « Musée des Beaux-Arts d’Ixelles » présentera quelques-uns de ses trésors au « Musée provincial Félicien Rops ».

Yves Calbert.

 

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