Mon école primaire. Le grand gel
Mon école primaire par grand gel
Arsène, le factotum de notre école, venait allumer le feu à 5 heures du matin pour casser le froid.
Il y avait un poêle avec une grande buse courbée à angle droit non loin du plafond dont la clé laissait passer le maximum de tirant. D'abord du bois de hêtre qui crépitait comme une kalachnikov que les Russes n'avaient pas encore inventée, puis des boulets de charbon de chez "Monsieur Charles" Mathurin près de la gare qui ronronneraient comme des bonbons des Vosges racleurs de gorge -je parle de la couleur noire et de la forme mais bien sûr pas du goût ni du ronronnement.
L'un et l'autre boulets, de charbon et des Vosges, étaient avec les passe-montagne bleu foncé dit gros bleu et des pullovers d'un ton bien sobre et sombre à col roulé que nos mères avaient tricotés les précieux auxiliaires pour passer l'hiver à l'école. Inutile de préciser que la laine venait des 3 Suisses à Dottignies, choisie à la veillée en groupe de quelques voisines dans un catalogue rempli d’échantillons de toutes sortes, même de la layette.
Avant la prière nous enlevions l'encrier de porcelaine logé dans un coin du pupitre et le serrions dans nos mains afin de réchauffer l'encre que le gel avait parfois, surtout les lundis matin, légèrement solidifiée. Les pupitres, je crois qu'ils étaient, ô les veinards, sortis indemnes de l'Offensive, car ils étaient guillochés de vieux ratchatchas vandales décennaires.
Ce matin-là j'avais trop profond trempé ma plume Ballon. Je la secouai et fis tomber une ou deux gouttes excédentaires à même le sol. L'instituteur le remarqua.
Il prit le frotteur au bas du tableau et, comme le discobole sinon qu'il n'était pas tout nu, il me l'envoya à la figure.
Je me souviens vaguement du frotteur à son départ, mais pas du tout vaguement à l'arrivée.
Et c'est avec une bosse naissante au front que je sortis mon cahier de mon sac avec, sur la dernière page de la couverture bleuâtre comme surexposée des mois et des mois au soleil de l'été indien, les tables de multiplication et la mention Don des enfants du Canada».
René Dislaire © Houffalize, le 8 février 2020.
NB Arsène est un prénom imaginaire (mais pas son travail) et le lancement du frotteur fait partie d'un rituel qui est tout autant fictif.