Offensive. Houffalize. Conte. 5e chapitre. Hans et la petite Perpétue
Offensive. Houffalize. Conte. 5e chapitre
Hans et la petite Perpétue
Reste que Hans ne savait comment s’y prendre pour que les friandises laissées par les Gi soient distribuées aux enfants.
Il y avait un homme dans la ville, le doyen Georges, l’âme de la population des caves.
Durant le mois qu’a duré l’offensive, a-t-il une seule fois enlevé sa soutane pour dormir ? Non, il était jour et nuit sur la brèche, et c’est à croire que Dieu lui avait donné la grâce de l’ubiquité.
Omniprésent, polyvalent. Il est difficile de comprendre aujourd’hui le poids de la religion à l’époque, les responsabilités que cet homme avait entre les mains, la confiance que les gens mettaient en lui : jamais il n’avait le droit de faillir.
Chaque jour sa soutane se souillait davantage. Couverte des poussières des retombées des bombardements, des bâtiments démantelés où il lui fallait pénétrer parmi des murs qui s’effondraient érodés par le feu. Son ample vêtement noir était mité d’accrocs, tous les boutons en-dessous de ses genoux étaient arrachés d‘avoir enjambé les tas de décombres qui obstruaient les routes. Ça et là, des zones plus claires : c’était d’y avoir lavé le sang des blessés qu’il avait manipulés.
Le sacerdoce lui conférait de réconforter ses ouailles effondrées devant les cadavres des membres de leurs familles ; de distribuer aux grands blessés la communion, qui s’appelait en la circonstance le saint viatique ; de répandre des huiles consacrées, l’extrême onction, sur le front des agonisants. Ce qu’on n’apprenait pas au séminaire au service de 350 personnes simultanément.
C’est à lui que Hans s’adressa pour demander conseil. La chose étant difficile à traiter, le doyen héla un Houffalois qui connaissait l’allemand, Monsieur Ubachs, ancien propriétaire de l’hôtel des Postes.
Hans expliqua qu’il avait des friandises pour les enfants, mais qu’il ne souhaitait pas que le visage d’un Allemand soit lié à ce don.
Hans se renseigna également sur une petite fille, qui ressemblait à la sienne, Greta, laissée à Hanovre. II avait eu pour elle des regards d’affection lorsqu’il visitait son abri où, assise sur sa couche, elle coloriait des dessins. L’interprète lui confia qu’elle s’appelait Perpétue, et sa mère Félicité. Son père, piégé à la Kommandantur d’Arlon, n’avait pas pu échapper à la déportation vers le travail obligatoire en Allemagne, la Werbestelle, que les gens appelaient Wèrbèstèle. Un travail de forçat dont peu sont revenus vivants, organisé par celui qu’on appela le négrier de l’Europe, Fritz Sauckel, qui sera pendu sur un jugement du tribunal de Nuremberg.
D’autant plus que Félicité, la mère, était douloureusement privée de son mari, Hans le puritain ne tenait pas à ce que l’on jasât contre cette femme en raison de ses sentiments envers sa fille.
Le doyen Georges fit s’approcher Joseph Ricaille, qui s’était improvisé infirmier et n’était jamais loin.
C’était un homme de conviction dont le visage exprimait la bonté, toujours disponible. Il aurait pu jouer les bons offices : que les chocolats passent dans les mains des enfants sans irriter qui que ce soit parmi les grandes personnes.
Le doyen le prit par le bras. Comme on n’était pas loin de l’église, et pour le valoriser, il pointa l’index de l’autre main sur l’édifice, et le présenta à Hans en disant : « c’est l’organiste de notre église ». Le Hanovrien comprit bien sûr le mot « Organist » et aussitôt son visage s’épanouit. « Ich, auch Organist, in Hanover » (moi, également, organiste, à Hanovre) Et spontanément chacun d’eux se pencha vers l’autre avec un respect non feint. Une certaine gêne chez Hans qui exprimait : « si tous les hommes étaient musiciens je ne vous saluerais pas avec sur les épaules un uniforme infâmant ». C’est la première fois depuis 5 ans que Hans donnait la main à quelqu’un.
On s’arrangea : Joseph donnerait les gourmandises aux parents comme objets trouvés, sans dire par qui, au départ des Américains.
Hardiment, Hans s’adressa à l’interprète en disant qu’il était tailleur, et qu’il aimerait confectionner une poupée pour Perpétue, la petite fille qui avait l’âge de la sienne. Mais il fallait la lui offrir avec la même discrétion quant à son origine.
Sepp intervint. Pas une poupée, camarade luthérien, ici c’est comme en Bavière, les gens sont catholiques, fais-lui un roi mage, c’est leur fête le 6 janvier.
Ainsi fut-il convenu.
Le lendemain Hans se présentait à l’atelier de la grand-rue pour rencontrer Nelly Simon qui partageait ses journées entre apprentie couturière et auxiliaire de la Croix Rouge. Il en sortit avec un prêt de ciseaux et quelques aiguilles, ainsi que du fil noir.
René Dislaire © Houffalize, le 15.01.2020 (à suivre)
Houffalize. Offensive de 1944/1945. Conte.
Hans, Perpétue et Félicité. Liens vers les 7 chapitres.
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 1. Les trtibulations de Hans en Europe
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 2. Hans prend ses quartiers à Houffalize
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 3. L’allemand Hans sous les bombardements
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 4. Le SS doryphore
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 5. Hans et la petite Perpétue
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 6. Hans et Sepp croisent deux connaissances
* Houffalize. Offensive. Conte. Hans, Perpétue et Félicité. Chapitre 7. 6 janvier 1945. Fin