Bibliotheca Wittockiana Wolluwe St.-Pierre
"Face à Face", à la ", à la "Bibliotheca Wittockiana", jusqu'au 12 juin
"Rares sont ceux qui ont mis autant de soin qu'Henri Michaux à s'effacer de la vie publique, à disparaître du quotidien. Lui qui n'était que mouvement refusait qu'on puisse le voir réduit à une silhouette figée; lui qui disait 'Je peins et j'écris pour me trouver' s'insurgeait q'on essaie de traquer son image, de la lui dérober, de l'exhiber ensuite. Très tôt, il s'est mis à l'écart et, refusant la preuve et la trace, il s'est estompé: 'Quand vous me verrez, allez, ce n'est pas moi'. Il s'est pourtant attaché à la reconquête de mui-même par les mots et par les traits, de sorte que, comme l'a dit Asger Jor: 'Autant il s'efface dans son entourage, autant il se déploie souverainement dans ses oeuvres' " (Jacques Carion, "Henri Michaux, Face à Face", p. 07).
Avant d'être présentée au "Centre Wallonie Bruxelles", à Paris, du 22 février au 22 mai 2017, la "Bibliotheca Wittockiana", à Wolluwe St.-Pierre, nous propose jusqu'au 12 juin, une fort intéressante exposition: "Henri Michaux, Face à Face", 21 ans après la dernière grande exposition qui lui fut consacrée, en 1995, en 3 lieux, 2 à Namur, à la "Maison de la Culture de la Province" et au "Musée Félicien Rops", ainsi qu'un à Bruxelles.
L'actuelle exposition commence par ses mots d'Henri Michaux (Namur/1899-Paris/1984), dans une lettre envoyée à Robert Brichon, le 03 juillet 1958: "Il n'y aura pas une photo de moi, ni seul, ni en groupe... C'était convenu au départ. Celles qui ont été publiées jusqu'à présent ne l'ont été qu'en me trompant... Mes livres montrent une vie intérieure. Je suis, depuis que j'existe, contre l'aspect extérieur, contre ses photos appelées, justement, pellicules, qui prennent la pellicule de tout".
Illustrant ce propos, l'affiche de la présente exposition reprend l'un de ses portrait, que ce brillant poète avait barré, l'original, gravé par Georges Aubert (1888-1981), illustrant son livre "Qui je fus" (Ed. "NRF"/1927).
Etudiant chez les Jésuites, il lit des ouvrages de Fiodor Dostoïevski (1821-1881) et Léon Tolstoï (1828-1910). S'orientant d'abord vers la médecine, il y renonce et devient matelot en 1920 et en 1921, signant son 1er ouvrage, "Cas de Folie circulaire", en 1922. Vivant, désormais, à Paris, il obtient la naturalisation française en 1955.
"J'écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire: me parcourir. Là est l'aventure d'être en vie" ("Passages"/1950). "Je crache sur ma vie. Je m'en désolidarise. Qui ne fait mieux que sa vie"? ("La Vie dans les Plis"/1949).
Guidé par un texte de liaison permettant un parcours aisé, nous découvrons des extraits significatifs de l’œuvre d’Henri Michaux et de sa correspondance, des exemplaires rares des ouvrages de l’auteur où écriture et peinture se lient de la manière la plus subtile et un grand nombre de visages que révèlent l’aquarelle et l’encre, l’acrylique et la gouache, l’huile et le crayon et qui prennent le spectateur à partie… Il aura entrepris le périlleux voyage vers ses lointains intérieurs. Des traces de l’écriture aux mouvements hallucinés du pinceau, il s’est embarqué vers l’inconnu...
Parcourant l'exposition, nous découvrons l'acte de mariage, à Namur, de ses parents, un visa dans son passeport, délivré, en 1937, par le Consulat du Brésil, à Montévidéo, ainsi que des photos, lors de son voyage en Equateur (1927), une (1945) avec Jean Cocteau (1889-1963), d'autres de son enfance et de son adolescence, sans oublier celle réalisée à Paris, par d'Henri-Cartier Bresson (1908-2004), ou encore deux gros plans de sa main droite, l'une écrivant et l'autre, prise à Meudon, en train de peindre ses "Mouvements".
... Des peintures qui, exposées à la "Bibliotheca Wittockiana", nous révèlent l'étendue du talent d'Henri Michaux, lequel écrivit: "Dessinez sans intention particulière, griffonnez machinalement, il apparaît presque toujours sur le papier des visages. / Menant une excessive vie faciale, on est aussi dans une perpétuelle fièvre de visages. / Dès que je prends un crayon, un pinceau, il m'en vient sur le papier l'un après l'autre dix, quinze, vingt. Et sauvages la plupart. / Est-ce moi tous ces visages? Sont-ce d'autres? De quels fonds venus?" ("Peintures et Dessins"/Ed. "Point du Jour"/1946)Quand je commence à étendre de la peinture sur la toile, il apparaît d'habitude une tête monstrueuse... Devant moi, comme si elle n'était pas à moi... nourrie d'elle-même, de mon immense chagrin plutôt" ("Peintures"/1939)... "Je peins et j'écris pour me trouver. Quand vous me verrez, allez ce n'est pas moi".
Aquarelle sur Papier (Coll. particulière)
Quand je commence à étendre de la peinture sur la toile, il apparaît d'habitude une tête monstrueuse... Devant moi, comme si elle n'était pas à moi... nourrie d'elle-même, de mon immense chagrin plutôt" ("Peintures"/1939)... "Je peins et j'écris pour me trouver. Quand vous me verrez, allez ce n'est pas moi".
Outre ses propres toiles, la "Bibliotheca Wittockiana", nous propose quelques oeuvres de peintres qui inspirèrent notre poète d'origine namuroise, telles une gouache sur tissu et une lithographie de Paul Klee, une eau forte de Zao Wou-Ki, "Ller dla Campane" (1948), de Jean Dubuffet, qui réalise, aussi son portrait (1947), présenté en fin d'exposition, sans oublier "In Memoriam Mack Sennett" (1936), une huile sur toile de René Magritte, qu'il accompagne de ses mots: "... deux seins, non dessous, en transparence, à demi cachés et à l'abri, mais sans atténuation aucune, substitués au tissus léger, ... mais là, interrompu par une force majeure, par une majeure mémoire, il permet aux seins admirablement formés de revenir sans voiles, pour entrer dans les sens comme dans les yeux. Dans la quelconque armoire-penderie en bois de sapin aux veines blondes, ils reprennent leur plénitude, qui ne ressemble à aucune autre, ^plénitude de demi-sphères, à la douce et rayonnante et unique domination"... ("En rêvant à partir de Peintures énigmatiques", p. 25-26).
René Magritte: "In Memoriam Mack Sennett" (Coll. Ville de La Louvière)
Dans un tout autre registre, il signe un ouvrage, "Arbres des Tropiques" (Ed. "Gallimard"/1942), écrivant (p. 10): "il est pressé. Un arbre pressé n'es-ce pas déjà presque un homme? Un jour de chance, la hausse d'une coudée... Des bourgeons gros comme des grenouilles, pleins et juteux, se collent aux aisselles des feuilles. Les feuilles larges comme des oreilles de grande bête"...
... Ou encore, illustrant le titre de l'exposition: "Face à face qui ne finit pas. Je la regarde. Nous nous regardons. Encore cet excessif face à face. Elle est devant moi. Elle va vivre, mais je ne le permets pas... Je ressens pour certaines têtes une antipathie folle... Ah, ces visages d'adultes, comme c'est effrayant", écrit-il dans "L'infini turbulent" (Ed. "Mercure de France"/1957/p.28-29).
Le 13 décembre 1952, il écrit à Franz Hellens: "J'ai fait 1.000 chambres d'hôtels et cabines de navires, depuis, et je brûle toutes les lettres, souhaitant qu'on en fasse autant des miennes. Vite, frottez une allumette. En tout cas, ne les publiez pas". A ce même correspondant, il envoie ce texte sans équivoque, le 25 juillet 197: "Je suis catégoriquement opposé à ce qu'on republie aucun des textes de moi ... je ne supporte absolument pas cet haïssable passé".
Suivant sa logique, il refuse tout prix littéraire ou mise en spectacle de ses textes. Ainsi, une lettre signée Claude Gallimard (22/12/1983) et sa réponse (17/01/1984) sont exposées. A son éditeur qui lui propose de publier 2 de ses ouvrages dans 'La Pléiade', Henri Michaux répond: "... cela (n'est) pas pour moi: en tant que distinction d'abord, parce qu'elle ferait définitivement de moi un professionnel au lieu de l'amateur que je préfère être et demeurer. La raison majeure est ... (que) l'on se trouve enfermé, une des impressions les plus odieuses que je puisse avoir et contre laquelle j'ai lutté ma vie durant".
(c) Gisèle Freund (1973)
Grâce à l'apport de collections particulières, notre visite se termine face à 2 de ses peintures d'un paysage, pratiquement identiques, où une dune côtoie la mer. Les concernant, Henri Michaux nous dit: "Loin de la grève, la mer se retira. L'ensablement gagna les étendues et les profondeurs" ("La Vie dans les Plis"). Quant à Pierre Alechinsky (°1927), il écrit: "Deux peintures similaires, l'une terminée et l'autre , l'ultime, en suspens. Des dunes vertes et jaunes dévalant vers une échappée d'eau. Même format, même mise en page. Fallait-il pousser l'ultime plus avant ou bien se garder d'y toucher? ... Deux peintures désormais si particulières que l'on se demandera, que déjà je me demande s'il n'y a pas par acquit d'inconscient une finale allusion flamande aux sables et broussailles de la mer du Nord. A tort, car de son point de vue de peintre au travail, elles n'étaient pas du tout finales, elles ne venaient marquer qu'une journée propre à se perdre dans la continuité" ("Des deux Mains"/Ed. "Mercure de France"/2004/p.18).
... Et Henri Michaux d'encore écrire: "... tout à coup comme déjà je trempais dans la joie, tout à coup la Mort vint et dit : « Il est temps. Viens. » La Mort, à tout jamais la Mort maintenant" ("Chant de Mort").
A son décès, les chaînes de radio et de télévision aimeraient diffuser un extrait sonore de sa voix! ... Il n'en existe aucun: "Vous n'aurez pas ma voix", avait-il déclaré!
"Rends-toi, mon cœur.
Nous avons assez lutté.
Et que ma vie s'arrête.
On n'a pas été des lâches,
On a fait ce qu'on a pu"
("Espace du dedans").
Ouverture du mardi au dimanche, de 10h. à 17h. (dernière entrée à 16h.30).
Prix d'entrée, collection permanente incluse: 5€ (étudiants, seniors & membres d'un groupe: 3€/enseignants: 0€). Livre-catalogue "Henri Michaux, Face à Face" (Jacques Carion & Jean-Luc Outers/"Ed. "La Lettre volée"/58 p./22€). Site: www.wittockiana.org. Nombre de ses poésies sont à lire sur: www.poemes.co/henri-michaux.html.
© Yves Calbert, avec des extraits de textes d'Henri Michaux, sous copyright des éditions "Gallimard".