Au "Delta", à Namur, dès la sortie de la crise sanitaire, "Peter Saul. Pop, Funk, Bad Painting and More"

écrit par YvesCalbert
le 17/03/2020
"Nightwatch II" (2016) (c) Peter Saul/"Artist s Rights Society", New York

Après avoir exposé, jusqu'au dimanche 26 janvier, au "Musée Frac Occitanie - Les Abattoirs", à Toulouse, c'est au "Delta", Centre d'Art de la Province de Namur, sis au confluent de la Sambre et de la Meuse, à Namur, sur deux étages, que l'artiste américain Peter Saul (°San Francisco/1934) expose ses peintures, jusqu'au dimanche 07 juin, en espérant la reprise d'une vie normale et la réouverture des lieux de Culture dès le samedi 04 avril.
Fort de plus de 60 ans de créations, lauréat, entre autres, en 2001, à New York, du prestigueux "Prix de l'Art", décerné par l' "American Academy of Arts and Letters", Peter Saul était présent à Namur, aux côtés d'Annabelle Ténèze, directrice du musée toulousain, ce vendredi 06 mars, pour le vernissage de sa première exposition en Belgique, intitulée "Peter Saul. Pop, Funk, Bad Painting and More". Soucieux de se détacher des courants artistiques de son pays natal, étonnamment, son parcours artistique commence à Paris, à l’orée des années 1960, ville au sein de laquelle  l’artiste réalise ses premières œuvres. Toujours aujourd'hui, à 86 ans, il continue à nous présenter, avec force couleurs vives, des objets quotidiens de l’ "American Way of Life", aussi bien que, s’inspirant du magazine "Mad", des super-héros ("Superman", "Mickey Mouse", "Donald Duck", ...), issus de ces "comics" américains, grâce auxquels il apprit à lire, nous confie-t-il, tout en n'ayant jamais été interessé de devenir un auteur de bandes dessinées, même s'il fut sollicité à ce niveau.
A l'âge de dix ans, en 1944, ses parents l'inscrivent dans un pensionnat très strict ("les enfants punis y étaient battus", écrit-il) de l'Ouest canadien, près de Vancouver. Dans cette école où les rapports humains sont complexes (cetains se moquent de lui, à cause de son nom à consonnance juive), il y vit l'expérience de la définition identitaire, de l'exclusion sociale et de l'antisémitisme, qui le marque profondément. Lui qui, très tôt, s'était mis à dessiner, s'appliquant, déjà, à réaliser des formes complexes, reçoit de sa mère, à 13 ans, trois ans après son entrée au pensionnat, un coffret de peintures...
C'est le début d'une grande aventure artistique, lui permettant d'échapper à la rigueur de son éducation, employant l'humour et la dérision face à l'adversité...
Après un passage à la "California School of Fine Arts", il étudie, de 1952 à 1956, à la "Washington University School of Fine Arts". C'est l'époque où il se libère de son intérêt passé pour l’ "Expressionnisme abstrait" ...
En 1964, après un passage par Rome, Peter Saul revient aux États-Unis, en Californie, où il se laisse influencer par le "Surréalisme", par ailleurs cher au pays de René Magritte, faisant la connaissance du peintre surréaliste chilien Roberto Matta, à l'origine de sa rencontre avec son futur galeriste, Allan Frumkin. ...
Les années passent... Ayant enseigné, durant de nombreuses années, au département des arts de l'Université d'Austin, au Texas, il s'installe, ensuite, à New York, où, désormais, il vit et travaille, entretenant et cultivant son insolance volontaire. Celle-ci n'ayant pas toujours été appréciée, Peter Saul, désormais reconnu, voit ses oeuvres être aujourd'hui exposées au sein de grandes collections publiques, au "MoMA" new-yorkais, à l' "Art Institute of Chicago", au "Stedelijk Museum" d'Amsterdam, au "Moderna Museum" de Stockholm, au "Centre Pompidou" parisien, ...
En page 159 du catalogue, nous apprenons que dès 1983, estimant "avoir entamé la phase mature de son oeuvre, grâce à la mise au point d'une technique picturale qu'il utilise encore aujourd'hui, (ajoutant) une couche de peinture à l'huile sur des compositions à l'acrylique, (réconciliant) à sa manière, le débat ancestral de l'hisoire de la peinture, entre prééminence de la ligne et de la couleur. En effet, il renforce la couleur de ses tableaux, la rend plus brillante et, quelque part, vivante, tout en l'intégrant dans une composition aux lignes de contours rondes, désormais bien définies.
" Quant à la manière de traiter ses sujets, Peter Saul nous dit : "La soi-disant bonne peinture est comme une parade de penseurs intelligents. Je suis content d’être en dehors de ça. Choquer signifie parler à des gens qui ne veulent pas écouter. Accepter de ne pas être choquant, c’est accepter d’être un meuble.Traitez-moi donc de cinglé si vous voulez."
"Mon œuvre, c’est 80% de colère...
Quand j’ai commencé à introduire une imagerie insensée ou stupide dans mes tableaux, j’en riais d’excitation", confiait-il, à Toulouse, à notre collègue Michel Grialou. Artiste engagé, il nous offre sa vision de la guerre du Vietnam, des luttes pour les droits civiques, caricaturant des Présidents américains, tels Ronald Reagan, George W. Bush et Donald Trump, de la malbouffe, des cigarettes (ancien fumeur, sa charge est virulente), voire de batailles historiques, tel celle du siège du Fort d'Alamo, durant lequel périt Davy Crockett (1786-1836), qu'il représente avec du sang s'écoulant de son crâne. Ici, comme dans d'autres oeuvres, le traitement coloré et "cartoonesque" des corps meurtris souligne l'absurdité de la violence des conflits armés. A noter que dans sa peinture "Bush over Baghdad", où nous voyons l'ancien Président américain survoler Baghdad sur un sandwich-bombardier, nous retrouvons le visage de Salavatore Dali, commentant l'action de George W. Bush en ces mots : "'Tête de fromage' tient dans ses mains l'arme du crime commis par le sandwich de destruction massive"...
Bien sûr Peter Saul (qui "cogne toujours aussi dur,... certains {ayant} même établi un parallèle entre sa peinture et Michael Moore, au cinéma", selon les mots de Michel Grialou) ne peut oublier Donald Trump, représenté avec un revolver dans chaque main, lui qui couvre tant l'industrie des armes à feu, ignorant le nombreuses tueries sur les campus universitaires.
D'un hamburger, sa nourriture préférée, surmonté par des têtes de canards, propres aux "comics", part un coup de poing sur une 2è représentation du visage de Trump, laissant présager, qui sait ?, que l'actuel Président pourrait ne pas être réélu, ses milliards de dollars, évoqués par une 3è visage collérique, ne pouvant garantir éternellement sa fonction...
"Quack, quack", dit un canard, offrant son titre à cette oeuvre paticulièrement contemporaine...
« Je vais devoir plaider coupable pour avoir peint des tableaux de guerre, comme celle du Vietnam (à voir, entre autres,""Little Joe in Hanoï" {1968}/ndlr), des gens célèbres (tel "Castro's Mother destroys Miami" {1994}/ ndlr), ainsi que beaucoup d’autres choses de manière inconvenante sur le plan émotionnel...", écrivait l'artiste californien, en juillet dernier. Autre sujet d'intérêt, le racisme aux Etats-Unis, avec Angela Davis, militante communiste féministe et membre des "Black Panthers", alors emprisonnée, et Mohamed Ali (né Cassius Marcellus Clay Junior), champion olympique, en 1960, trois fois champion du monde, dépossédé d'un titre mondial et de sa licence de boxeur, pour avoir refusé de combattre au Vietnam ("Aucun Vietcong ne m'a jamais traité de nègre", disait-il). Peter Saul  les réunit, en 1971, dans son oeuvre "Angela and Ali", où, comme l'écrivait Michel Grialou, en 2019 : "La chair affichant une féminité coupable mais la bouche claironnant, Angela Davis trouve ici le secours d’un 'Superman' victorieux (Mohamed Ali, ndlr), porteur des espoirs de reconnaissance des Noirs américains." Notre visite de presse, le vendredi 06 mars, se termina par un arrêt au "Musée de Peter Saul", espace carré où nous retrouvons des oeuvres carricaturales inspirées de peintures majeures, représentatives de différentes époques, telle "La Joconde" (vers 1503-1516), de Léonard de Vinci (1452-1519), avec "Mona Lisa Throws Up Macaroni" (1995) ou l'une des montres déformées, chères à Salvator Dali (1904-1989), jouxtant la "Fontaine" (1917), oeuvre de Marcel Duchamp (1887-1968), constituée d'un urinoir renversé, en porcelaine, porteur de la signature "R. Mutt", Peter Saul intitulant cette dernière oeuvre "Hang Soft Watch Here ?". ...
Et que dire de sa réappropriation de "La Ronde de Nuit" de Rembrandt (Rembrandt Harmenszoon van Rijn/1606-1669), sous le titre "Nightwatch II", une acrylique sur toile (198,1 x 233,7 cm) peinte en 2016. ou de son portrait réaliste de Vincent Van Gogh (1853-1890), se coupant son oreille gauche, disant, dans une bulle propre aux "comics" :"la prochaine fois, écoutez attentivement"...
Outre cette réappropriation d'oeuvres majeures de l'histoire de l'art ou ce portait d'un collègue peintre, nous trouvons, présentés au "Delta", dans plusieurs tables-vitines, différents carnets de croquis, lettres et autres documents, une petite salle nous présentant, par ailleurs, un accrochage des premiers dessins que Peter Saul réalisa à Paris, à la fin des années '50... En décembre 2019, pour "Arts Hebdo Médias", Marie-Laure Desjardins écrivait :"Inlassable observateur de la société américaine, il manie depuis quelque soixante années un pinceau trempé dans la nitroglycérine. Ses toiles, d’une facture classique, sont d’une contemporanéité terrible.
Cette manière très pop – le mot est lâché – d’user de la couleur rend sa peinture immanquablement attrayante quand les formes surabondantes et irréelles distillent un sentiment d’étrangeté...
" Quant à Annabelle Ténèze, elle écrit, en 2019 : "Pour cetains, le peintre américain est le père du pop art, pour d'autres, il est un des pionniers du funk californien, ou encore un précuseur du bad painting... Sous l'humour et l'outrance, son traitement de la société divertit autant qu'il réveille les consciences." L'artiste, lui déclare : "Il ne l'est jamais venu à l'esprit de chercher un groupe auquel appartenir... (Ajourd'hui), le 'style artistique' ne m'intéresse plus. Je m'intéresse plutôt à l'individualité du tableau.
Pour ce qui est de la peinture à proprement parler, je laisse le sujet me guider, autant que possible." A l'artiste Joe Bradley, il déclarait, en 2016 : "Je dirais que les gens aiment être provvoqués. Une oeuvre qui ne provoque pas, je l'oublie au bout de trente secondes. J'aime voir  la peinture et l'art comme un genre de nouvelles.

"Concluons avec ce que Peter Saul déclarait, lui-même, dans sa "conversation avec Kaws" : "La question de la 'qualité', de savoir quelles peintures sont bonnes, et lesquelles sont mauvaises, selon le point de vue des autres ne m'intéresse pas du tout...
En tant qu'artiste, je dois me faire ma propre opinion sur quoi regarder." Ouverture : du samedi 04 mars (voire plus tard, selon les décisions du Gouvernement) jusqu'au dimanche 07 juin, du mardi au vendredi, de 11h à 18h, le samedi et le dimanche, de 10h à 18h.
Prix d'accès : 10€ (réduction prévue avec le "Pass Delta") . Catalogue : nombreuses illustrations, textes (anglais-français) de Peter Saul, Annabelle Ténèze & John Yaude (Ed."Hatje Cantz"/cartonné/224 p./38€).
Lien sur le Web : https://www.ledelta.be/evenements/peter-saul-pop-funk-bad-painting-and-m.... Informations : mediation@ledelta.be.

Notons encore que si tout se passe pour le mieux (ce qui est loin d'être certain, soyons en conscients), un "dimanche en famille" est programmé, en date du 05 avril : entrée gratuite, de 10h à 18h, visites guidées (de 20 minutes), à 11h, 14h & 16h, ateliers d'arts plastiques, pour les 06-12 ans, de 14h à 17h (les enfants commençant et arrêtant leur activité quand ils le souhaitent). Yves Calbert.

  • "Nightwatch II" (2016) (c) Peter Saul/"Artist s Rights Society", New York
  • Peter Saul devant "Three More Napoleons Crossing the Alps" (2019)
  • Devant "California Artist" (1973), a Mill Valley, Californie (c) "Michael Werner Gallery"
  • "Pop Art 1" (1992) (c) Peter Saul/"Artist s Rights Society", New York
  • "Castro s Mother destroys Miami" (1994) (c) Peter Saul/"Artist s Rights Society", New York
  • "Bush over Baghdad" (2003) (c) Peter Saul/"Artist s Rights Society", New York
  • "Quack, Quack Trump" (2017) (c) Peter Saul/"Artist s Rights Society", New York
  • "The Alamo" (1990) (c) Peter Saul/"Artist s Rights Society", New York
  • "Little Joe in Hanoi" (1968) (c) Peter Saul/"Artist s Rights Society", New York
  • "Angela and Ali" (1971) (c) Peter Saul/"Artist s Rights Society", New York
  • "Mona Lisa throws up Macaroni" (1995) (c) Peter Saul/"Artist s Rights Society", New York/Photo : S. Leonard
  • "Hang Soft Watch Here ?" (1997) (c) Peter Saul/"Artist s Rights Society", New York
  • "Van Gogh cuts off his Ear" (2019) (c) Peter Saul/"Artist s Rights Society", New York
  • "Le Delta", en bord de Sambre (c) Province de Namur
  • "Art Appreciation" (2016)/"Artist s Rights Society", New York
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