La "Zwanze", au "Musée Félicien Rops", à Namur, jusqu'au Dimanche 17 Février
La « Zwanze« , encore parlée dans le quartier des Marolles, appartient au patrimoine bruxellois de sa culture populaire, désignant un esprit insoumis et gausseur, un authentique art de vivre « brusseleir », qui nous offre son humour typiquement gouailleur, s’appréciant lors de discussions dans les estaminets, voire en rue, lors de l’un ou l’autre événement local.
Plus simplement, voici la définition figurant au « Larousse » : « forme d’humour caractéristique de la Belgique francophone, en particulier de Bruxelles : histoire, plaisanterie relevant de cette forme d’humour. »
De la capitale fédérale, rendons nous, jusqu’au dimanche 17 février, dans la capitale de la Wallonie, à Namur, pour y découvrir, au sein du « Musée Félicien Rops », une bien sympathique exposition temporaire : « La Zwanze, burlesque & canular, de Louis Ghémar à James Ensor ».
A peine franchie la porte du musée, avant même d’arriver à la billeterie, nous sommes chaleureusement accueillis par une installation contemporaine de l’Anversois Guillaume Bijl (°1946/Antwerpen), que nous pouvons découvrir sans bourse délier.
Une fois entrés dans la première salle, nous découvrons une carricature réalisée, en 1856, par Félicien Rops (1833-1898), publiée dans sa revue
« Uylenspiegel », et intitulée la« Trinité photographique », avec, comme personnage central, Louis Ghémar (1819-1873).
Au bas de sa lithographie, Félicien Rops écrivait :
« Le Monsieur du milieu, que l’on voit si gai mar-
Cher vers la ‘Coupe d’Or’, à l’air peu sévère, hein ?
C’est le portrait frappant de l’illustre Ghémar,
Entre ses deux amis De Wasme et Séverin. »
L’humour absurde se décline au XIXe siècle autour de diverses sociétés, telles les « Agathopèdes », les « Joyeux », la « Société Vocale d’Ixelles » et la
« Colonie d’Anseremme« . Parmi ces potaches, le lithographe et photographe d’origine française Louis Ghémar, ami de Nadar (né Félix Tournachon/1820-1910), bénéficie d’une solide réputation puisqu’il officie, entre autres, comme photographe officiel de la Cour de Belgique, ce qui est prouvé par la présentation de portraits de Léopold 1er, ainsi que d’illustrations de cartes de visites de la Reine Marie Louise d’Orleans et de nos deux premiers Rois.
A leurs côtés, deux portes en bois, joliment décorées par l’artiste, sont exposées, celles d’une ancienne auberge d’Anseremme, « Au Repos des Artistes », où Félicien Rops séjourna fréquemment, dès 1868.
A ce propos, Michel Mineur, artiste paysagiste, évoquant l’artiste namurois, déclare : « C’est par la rame (n’oublions pas que Félicien Rops est le fondateur, en 1862, du « Royal Club Nautique de Sambre & Meuse », ndlr) qu’il a découvert l’auberge, à Anseremme. Pendant 20 ans, il a passé ses étés là-bas, y invitant ses amis peintres, qui ‘pour vider une ardoise’, peignaient les portes de l’aubergiste. »
Sur l’une de ces portes, sortant d’une flûte de champagne, une carricature de Paul Lauthers (1806-1875), l’un des professeurs de Louis-Joseph Ghémar. Quant à l’aubergiste, un certain Boussingault, on le retrouve carricaturé, portant, un bonnet de nuit, … ayant, sans doute, été réveillé en pleine nuit, comme nous le suggère un extrait de l’audioguide…
En 1868, Louis Ghémar ouvre son propre musée, à Bruxelles, où il expose une série de gravures et peintures iconoclastes, pastichant notamment quelques artistes fameux. Parmi ces œuvres, présentement exposée dans la seconde salle de l’exposition temporaire du « Musée Félicien Rops », nous découvrons un triptyque satirique, destiné à la Salle Gothique de l’Hôtel de Ville de Bruxelles, aujourd’hui conservé à la « Maison du Roi », représentant, sur le panneau central, les premiers travaux d’assainissement de la Senne, que d’aucun présentait comme étant « la peite rivière la plus nauséabonde du
monde ».
Sur le panneau de gauche, nous trouvons le bourgmestre « assainisseur » Jules Anspach (1829-1879), en prière, avec une auréole. Sur celui de droite : le « Punch », polichinelle de Bruxelles et des alentours, une marionnette populaire du XIXè siècle.
A côté de sa carrière, Louis Ghémar est un joyeux drille, aimant à multiplier les fêtes, les blagues et surtout, à développer ses compétences de
« pasticheur ». En 1868, il écrivait :
« Si la sincérité vous charme,
Je parle franc ; soyez charmés.
Et si le rire vous désarme,
Je ris fort, soyez désarmés. »
Vers 1870, il publie des photos commandées par la « Belgian Public Work Company », qui nous permettent de voir la Senne avant son voûtement.
« Chacun vit à sa manière, pense à sa manière, agit à sa manière, écrit, peint, sculpte, parle, chante en un universel mouvement de fronde, de sarcasme brimant les prétentions, de goguenardises, de ‘zwanze’, suivant l’expression locale, qui ne laisse place à aucune arrogance durable de la part d’autrui », écrivait Edmond Picard, en 1897, dans « L’Âme belge ».
La « zwanze« se caractérise principalement par l’auto-dérision (pour pouvoir rire des autres, il faut d’abord savoir se moquer de soi-même), des exagérations, des expressions bruxelloises ou traduites directement du néerlandais. Par exemple, que pensez de cette phrase savoureuse : « oué, oué, arrête un peu de zieverer, dikkenek » ?
Tout en parodiant le style de ses contemporains comme Alfred Stevens (1823-1906), Louis Gallait (1810-1887) et bien d’autres, Louis Ghémar réalise des imitations d’oeuvres qu’il finira par exposer dans son propre musée, à Bruxelles, un musée qui ne lui survivra pas, sa veuve dispersant ses oeuvres, en 1879, lors d’une vente aux enchères confiée à « Drouot »…
« Louis Ghémar a produit, peut-être sans le savoir, la plus charmante satire que l’on puisse voir de la peinture moderne. Ses parodies des grands maîtres sont des chefs-d’oeuvre dans leur genre, et les artistes à qui s’adressent ses épigrammes seront les premiers à les trouver parfaites », soulignait le quotidien « L’Indépendance belge », en 1868.
Dans cet esprit « zwanzeur », différentes expositions « Great Zwans » auront lieu à Bruxelles, à partir de 1885, puis, notamment, à la veille des guerres ’14-’18 et ’40-’45, regroupant tout ce qui se fait de moquerie autour de l’art et de la société.
A souligner, comme le précise le sous-titre de la présente expo, « de Louis Ghémar à James Ensor », la présence de plusieurs oeuvres de James Ensor (1860-1949) au premier étage.
Conseillons de ne pas quitter le « Musée Félicien Rops », sans nous rendre au premier étage de la collection permanente, afin de pouvoir découvrir nombre de carricatures de l’artiste namurois, jouxtant des œuvres humoristiques de différents artistes belges des générations ultérieures à Louis Ghémar, tels Léon Frédéric (1856-1940), Amédée Lynen (1852-1938) et Arthur Navez (1881-1931).
Louis Ghémar meurt subitement, à l’âge de 54 ans, devenant, pour tous ses « suiveurs », le symbole de la « zwanze » et des « zwanzeurs », le verbe
« belge » « zwanzer » étant inventé, comme, bien plus tard un auteur de bandes dessinées, « Peyo » (°né Pierre Culliford/1928-1992), créera un autre verbe « belge » : « schtroumpfer »…
Evoquant le monde de la BD, notons la définition que le créateur du « Chat », Philippe Geluck, donne au nom « zwanzeur » : « C‘est celui qui se fait volontiers passer pour un imbécile dans le but de mieux tromper son interlocuteur. » …
Concernant les nom et verbe « zwanze » et « zwanzer », épinglons cette phrase des plus typiques : « Mo fieu ! Je terminerai ce bref exposé en te splikant qu’il faut encore savoir que le mot « zwanze », eh ben … ça se conjugue ossi … Zeiker en vast … »
A noter que ce mot « zwanze » se retrouve au Canada et aux Etats-Unis, grâce au « Zwanze Day », durant lequel l’on fête la bière, de New Orleans à New York, en passant par une dizaine d’autres Villes, dont Montréal et Washington D.C., de même qu’à Osaka, au Japon, et à … Bruxelles, aux « Moeder Lambic » Fontainas et St.-Gilles…
Mais revenons au « Musée Félicien Rops » qui, dès le lundi 18 février, au lendemain de la clôture de la présente exposition temporaire, fermera ses portes jusqu’au lundi 15 avril inclus.
… Et ce, pour mieux les ouvrir, … mais avec une entrée qui pourra s’effectuer par la porte du jardin, en venant de l’ « Ilot des Bâteliers », de son « Musée des Arts décoratifs » et/ou de son « Musée archéologique », ce qui nécessite une transformation de l’actuelle zone d’accueil, telle qu’elle fut pensée en 2003, les habitudes et souhaits des visiteurs ayant évolué, de nouvelles technologies ayant fait leur apparition, demandant plus d’espace de rangement et de maintenance.
Aussi, la Province de Namur, propriétaire de ce musée, a-t-elle confié cette rénovation à l’archiscénographe (à la fois architecte et scénographe) Filip Roland.
L’année 2019 verra donc se concrétiser deux grands projets provinciaux, sur le plan culturel, le plus important étant évidemment la prochaine réouverture, après deux ans de travaux, de la « Maison de la Culture de la Province », … prouvant l’importance de maintenir les Provinces dans l’état, … quoiqu’en disent certains politiciens…
Maintenant les activités du musée se poursuivront, durant la durée des travaux, à proximité de l’abbaye de Maredsous, au Château de Thozée, sis sur le territoire de la Ville de Mettet, où nous pourrons découvrir, ou revoir, un lieu de vie de Félicien Rops, où il hébergea nombre de ses amis, dont Charles Baudelaire (1821-1867).
De ce Château, classé comme « monument de Wallonie », lisons ce qu’en disait Thierry Zéno (°né Thierry Jonard/1950-2017), un cinéaste namurois ayant réalisé deux documentaires sur Félicien Rops, qui nous encourageait à découvrir ce lieu : « On peut dire qu’il y avait ses racines et que ce lieu représentait beaucoup pour lui. L’animer, le faire visiter, c’est une manière de perpétuer son oeuvre, son héritage. »
Ajoutons qu’au delà de son Château, le domaine de Thozée développe, également, des projets nature, entre autres en régénérant le verger et en développant la biodiversité. Nous y trouvons un pommier unique en Belgique, produisant les « pommes de Thozée », ainsi nommées par les Facultés universitaires agronomiques de Gembloux.
Avant cela, « à Nameur ? Non peut-être ! », il nous reste queques jours, pour « zwanzer » au « Musée Félicien Rops », où nous attend, jusqu’au dimanche 17 février, l’exposition « La Zwanze, burlesque & canular, de Louis Ghémar à James Ensor », célébrant le saugrenu, l’amour de l’absurde, porte-drapeau de la liberté d’expression.
Ouverture : du mardi au dimanche, de 10 à 18h, jusqu’à 20h, le jeudi. Prix d’entrée, incluant la collection permanente : 5€ (2€50, en prix réduit / 1€50, par membre d’un groupe scolaire / 0€, pour les – de 12 ans et les « article 27 ». Prix d’entrée pour la seule exposition temporaire : 3€ (1€50 / 1€ / 0€). Catalogue : 30€ (V. Carpiaux, W. Coppejans, P. Florizoone, H. Todts & E. Van Den Ende/Ed.« Ronny Van de Velde »/2018/cartonné/ 200p./100 illustrations). Site web : http://www.museerops.be.
Notons que ce jeudi 07 février, le musée étant ouvert jusqu’à 20h, à 18h30, visite guidée de l’exposition en compagnie d’Eliane Van Den Ende, spécialiste de Louis Ghémar et auteure du superbe catalogue, particulièrement bien documenté. Pour participer à cette activité, réservation obligatoire : 081/77.67.55 ou info@muséerops.be.
Yves Calbert.