"Hugo Pratt, les Chemins du Rêve", à la "Fondation Folon"
Programmée, à l’origine, jusqu’au dimanche 24 novembre, l’exposition « Hugo Pratt, les Chemins du Rêve » est prolongée, à la « Fondation Folon », sise au coeur du « Parc Solvay », au sein de la « Ferme du Château », à La Hulpe, jusqu’au dimanche 05 janvier 2020, nous permettant de la (re)découvrir durant les vacances de Noël-Nouvel An.
Réunissant une soixantaine d’aquarelles et de planches originales, cette exposition se décline en trois sections : nature, temps et personnages, s’articulant en jeux de miroirs, en ombres et en lumières, en cabinets fermés, créant des assonances subtiles, nous révélant l’univers des bandes dessinées et des aquarelles d’Hugo Pratt (né Hugo Eugenio Prat/1927-1995), maître du noir et blanc et peintre estimé, nous racontant sa vision des songes et des mythes.
Extraits de ses écrits: « J’essaye toujours de raconter quelque chose qui s’est déroulé ou qui possède un fond de vérité, mais j’essaie également de créer un trouble et de laisser ainsi la possibilité d’une interprétation fantastique. Cela apporte toujours quelque chose de plus. C’est ma façon de voir. Cela étant, il arrive bien souvent que la réalité dépasse la fiction, qu’il y ait en elle un élément plus fantastique encore que tout ce qu’un individu pourrait rêver, imaginer. »
« En un sens, j’écris avec tous les écrivains, toutes les histoires, toutes les légendes, j’écris sur eux, avec eux. Lorsque j’ai réalisé Songe d’un matin d’hiver, c’était évidemment un clin d’œil à Shakespeare : j’ai mis tous ses personnages, y compris Oberon. Mais ce qui m’intéressait dans cette histoire, c’était de mettre en présence deux forces, deux éducations, deux mentalités en confrontant les civilisations allemande et anglaise. Je me suis beaucoup
amusé à dessiner cela parce que je me suis promené entre deux mondes. En somme, je me balade avec des images. »
« Dans la littérature – et Dieu sait si j’ai beaucoup lu -, ce qui me touche le plus, c’est la poésie, parce qu’elle est synthétique et qu’elle procède par images. Lorsque je lis, ces images, je les vois, je les sens épidermiquement. Derrière la poésie se cache une profondeur que je capte quasi instantanément. Et comme la poésie, la bande dessinée est un monde d’images, vous êtes obligé en permanence de conjuguer deux codes et par conséquent deux mondes. Un univers immédiat par l’image et un monde transmis par la parole. »
« Je raconte toujours la vérité comme s’il s’agissait d’un faux. À la différence de beaucoup d’autres qui racontent des choses fausses en voulant qu’elles soient vraies, je vous raconte la réalité comme si elle était fausse et c’est là qu’elle devient double, triple, et le lecteur comprend ensuite que quelques-unes des choses que j’ai dites étaient vraies et alors, c’est avec un intérêt plus grand qu’il part à leur recherche. »
« Ce que je prétends réaliser dans mes histoires, c’est créer des images qui sont comme des signes et qui invitent alors à plus de curiosité. Une petite curiosité qui ouvre les portes d’un monde inconnu. »
Comme à l’habitude, à la « Fondation Folon », cette exposition bénéficie d’une superbe scénographie, celle-ci étant due à Antigone Aristidou, née à Athènes. Diplômée en architecture, de l’ « Ecole nationale supérieure des Arts visuels de La Cambre », elle scénographia, avec brio, l’exposition
« Baudelaire-Bruxelles », au « Musée de la Ville de Bruxelles ».
En outre, l’exposition « Hugo Pratt, les Chemins du Rêve » a bénéficié de l’expérience de ses commissaires, deux grandes spécialistes de l’œuvre de ce brillant auteur italien, Patrizia Zanotti – née en Argentine, qui collabora avec Hugo Pratt dès 1979, devenant, quelques années plus tard, la curatrice de toutes ses expositions, étant responsable, aujourd’hui, de la S.A.« Cong », qui gère les droits d’auteur de cet artiste, bien trop tôt décédé – et Cristina Taverna, née en Egypte, ayant étudié les « Lettres françaises », aux Universités « Bocconi », à Milan, et« de la Sorbonne, à Paris, avant de devenir Galeriste, exposant des oeuvres de Jean-Michel Folon (1934-2005) et d’Hugo Pratt, au sujet duquel elle consacra un livre, en 2012.
C’est au sein du périodique gènois « Il Sergente Kirk », qu’ Hugo Pratt, de 1967 à 1969, rédige et dessine – « le 1er véritable roman en bande dessinée », selon l’historien de l’art Erwin Dejasse –, « La Ballade le la Mer salée » (publié, en français, par « France-Soir », de 1973 à 1974, édité en album par les
« Casterman », en 1975/« Prix de la meilleure Oeuvre réaliste étrangère », en 1976, au 3è « Festival d’Angoulème »), au sein de laquelle il crée un personnage secondaire, apparaissant attaché sur un radeau, les bras en croix, « Corto Maltese », qui deviendra bientôt son personnage principal, à l’image de « Tintin », pour« Hergé » (Georges Remy/1907-1983), plusieurs différences existant entre ces créateurs italien et belge.
De fait, si Hugo Prattvoyagea beaucoup, « Hergé », quant à lui, trouva son inspiration en recherchant des cartes postales et en feuilletant des livres, sans quitter la Belgique ? Par ailleurs, ne perdons pas de vue qu’« Hergé’ ne créa aucun personnage féminin, hormis « Bianca Castafiore », alors qu’Hugo Prattétait particulièrement intéressé par la représentation de la féminité, notamment dans ses superbes aquarelles, dont une série, intitulée « Les Femmes de Corto Maltese ». Il n’y a qu’à l’écouter dire, sur d’émouvantes images, réalisées parManu Bonmariage (série « Un Homme, une Ville »/« RTBF »/1980) : « J’ai un grand respect pour les femmes… Dans mes BD, les femmes sont parfois plus importantes que ‘Corto’… »
… Et si « Corto Maltese » et « Tintin » sont publiés, tous deux, par les Editions « Casterman », sachons qu’ « Hergé » n’accepta pas que « Tintin » puisse connaître de nouvelles aventures après le décès de son créateur, alors que « Corto Maltese » , authentique « vagabond des mers », continuait ses voyages, le dernier tome s’intitulant « Le Jour de Terowean » (Ed. « Casterman »/novembre 2019/cartonné/82 p./23,1 x 30,6 cm/16€), étant dessiné et mis en couleurs par Rubén Pellejero, le scénario étant de Juan Diaz Canales, une version en noir et blanc étant disponible (25€).
Ainsi, grâce au talent de ces deux auteurs espagnols, ce matelot audacieux, par la grâce d’un noir intense et lumineux – ce trait à l’encre de Chine, d’Hugo Pratt, ayant été inspiré par l’Américain Milton Caniff – continue à parcourir les mers, plus jeune et plus intrépide que jamais ! Longue vie à « Corto
Maltese » !
Mais revenons à La Hulpe, où nous constatons que si l’œuvre de ce créateur italien est synonyme d’aventures et de voyages, elle l’est, aussi, de rêves, … sujet choisi pour cette exposition, scénographiée là où la « Fondation Folon » continue à maintenir en vie l’oeuvre dessinée, peinte et sculptée de cet autre « maître des songes » qu’était Jean-Michel Folon...
… Des songes qu’Hugo Pratt, de sion côté, utilise comme procédé narratif, ses personnages s’endormant régulièrement, au fil des pages, tombant dans leurs rêves, qui leur ouvrent les champs d’une méta-réalité, tout à la fois fascinante et ludique.
Concernant ses rêves, mis en valeur par la présente exposition, Cristina Taverna, co-commissaire de cet accrochage, nous disait lors de la visite de presse : « C’est un thème fondamental de son oeuvre, étant, pour lui, un moyen de transporter le lecteur d’un monde à l’autre, de voyager à travers les pays ou les époques, mêlant constamment le réel à l’illusion. »
Patrizia Zanotti, l’autre commissaire, nous disait, quant à elle : « Hugo Pratt à introduit, dans ses récits, des techniques cinématographiques, notamment l’usage de l’ellipse, mais aussi nombre de références littéraires, telles celles se rapportant à Ernest Hemingway, Rudyard Kipling, Jack London ou Arthur Rimbaud. »
Concernant la poésie, qui se dégage de ses bandes dessinées et de ses aquarelles, cette icône du neuvième art déclara :« Je l’apprécie particulièrement parce qu’elle est synthétique et procède par images. »
A défaut de pouvoir encore rencontrer ces deux commissaires, lors de notre visite, pour mieux cerner encore cet auteur, ne manquons pas de regarder la vidéo proposée dans le petit hall séparant les deux salles d’exposition.
Concernant la poésie, qui se dégage de ses bandes dessinées et de ses aquarelles, à la beauté séduisante, cette icône du neuvième art déclara : « Je l’apprécie particulièrement parce qu’elle est synthétique et procède par images. »
A défaut de pouvoir encore rencontrer ces deux commissaires, lors de notre visite, pour mieux cerner encore cet auteur, ne manquons pas de regarder la vidéo proposée dans le petit hall séparant les deux salles d’exposition.
A La Hulpe, vivons donc intensément, avec un plaisir envoûtant, cette promenade écrite et documentée visuellement sur les chemins du rêve, l’univers propre à Hugo Pratt – dont l’univers se nourrit de fables, de contes et de légendes, eux-mêmes ancrés dans les mythes de l’humanité -, étant, ici, revisité, pour notre plus grand plaisir. Une exposition à ne manquer sous aucun prétexte, d’autant plus par les amateurs de bandes dessinées et/ou d’aquarelles…
Ouverture : jusqu’au dimanche 05 janvier, du mardi au vendredi, de 09h à 17h, le samedi et le dimanche, de 10h à 18h. Prix d’entrée : 7€ (13€,en combiné avec la collection permanente). Catalogue : rédigé par Francesco Boille, journaliste, et Giulio Giorello, philosophe des sciences (une coédition
« Gallimard » – « Cong »/118 p./245 x 325 mm/28€). Site web : http://www.fondationfolon.be.
Yves Calbert.