Cinéma : A Namur, au "Caméo", dans les "Classiques du Mardi", "La Vérité"
A Namur, au « Caméo », ce mardi 12 février, à 12h et à 20h, dans le cadre des « Classiques du Mardi » du Service Culture de la Province de Namur, projection d’un film d’Henri-Georges Clouzot, « La Vérité » (Fra.-Ita./ 1960/127′).
Synopsis : « Dominique Marceau, une jeune fille provocante, est accusée du meurtre de son ancien amant Gilbert Tellier. Au cours du procès, l’histoire de sa relation avec la victime est reconstituée. »
Aidé de cinq scénaristes, Henri-Georges Clouzot (1907-1977) a construit un récit tout en nuances et faux-semblants, adoptant les conventions du film de procès et une structure en flash-back dans le but de comprendre la personnalité et les motivations de Dominique Rousseau, une jeune femme accusée de meurtre. Retrouvant la noirceur et la critique sociale adoptées dans son film « Le Corbeau », (Fra./1943/92′) le cinéaste n’épargne pas une société bourgeoise hypocrite aveuglée par ses certitudes ainsi qu’une justice condescendante accordant plus d’importance au respect des bonnes mœurs qu’à la lecture des règles de droit. Le président des assises, l’avocat général et surtout maître Éparvier reprochent moins à Dominique d’avoir commis un meurtre que d’avoir mené une existence à sa guise, au mépris des normes de bienséance attribuées aux femmes (texte des« Grignoux », avec deux précisions ajoutées).
Ce récit judiciaire est porté par la performance dramatique étonnante de Brigitte Bardot, qui, selon certains critiques, demeure avec « Le Mépris » (Jean-Luc Godard/Fra.-Ita./1963/103’/avec Michel Picoli ), l’une des deux meilleures interprétations de sa carrière.
Critique pour « Le Monde », Jean de Baroncelli écrivit : « Brigitte Bardot telle qu’elle-même enfin. Clouzot la change. D’abord semblable à son personnage d’enfant gâtée évaporée et boudeuse, elle se métamorphose en femme dans son box de criminelle. Alors, véritablement elle est autre : par sa voix, son regard et ce corps brusquement effacé. Quand elle crie son amour et l’amour de celui qu’elle a tué, elle émeut. Et son regard de bête traquée, la nuit, dans la prison, à l’instant où elle saisit son morceau de miroir, ce regard fait mal… Quelle est la part de fascination du réalisateur dans cette métamorphose ? Il est difficile de le dire mais elle est certainement prépondérante. »
L’actrice, elle-même, écrivit dans son livre « Initiales B.B. » (Ed. « Grasset », p.274) : » On m’attendait au tournant !… Je savais mon texte au rasoir mais si je me trompais, ça n’avait pas d’importance, je devais continuer, inventer, parler avec mes tripes, avec mes mots… Je les regardais, ceux-là, qui me jugeaient parce que j’osais vivre ! Puis ma voix s’éleva. Cassée, rauque, puissante, je leur dis ce que j’avais à leur dire à tous. Ma force venait de mes entrailles, je vibrais, je jouais ma tête, ma vie, ma liberté. Je pleurais, brisée par les larmes, ma voix hoqueta mais je continuai jusqu’à la fin et tombai assise, la tête entre les mains, en proie à une véritable crise de désespoir. Il y eut un moment de silence puis Clouzot cria ‘Coupez !’. Alors, toute la salle du tribunal m’applaudit, les figurants pleuraient, les juges étaient émus, les jurés impressionnés. Ce fut une des plus grandes émotions de ma vie. J’étais vidée, à bout, mais c’était réussi. J’avais gagné. Bien sûr, on ne recommença pas. »
Par ailleurs, évoquant son travail sur le plateau, concernant Henri-Georges Clouzot, elle confia : « Il me voulait à lui tout seul et régnait sur moi en maître absolu. » Le tournage s’avèra éprouvant. Dans une scène, alors qu’elle doit pleurer, elle se mit à rire, ce qui énerva Clouzot qui la gifla devant toute l’équipe, gifle qu’elle lui retourna. « Il était hébété ! Jamais on ne lui avait fait ça ! Hors de lui, mortifié, humilié devant témoins, il m’écrasa les pieds avec les talons de ses chaussures. J’étais pieds nus, je poussai un hurlement et me mis à pleurer de douleur. Il demanda instantanément le ‘moteur’ profitant de ces larmes bienvenues pour tourner la scène. Mais boitillante et claudicante, je quittais le plateau telle une reine offensée et réintégrais ma loge. »
Une autre fois, à la fin du film, le scénario avait prévu une scène de suicide où son personnage doit avaler des barbiturides. Lorsqu’elle se plaignit d’un mal de crâne, Clouzot lui apporta deux « aspirines ». « Je me sentis bizarre, une torpeur m’envahit, mes yeux pesaient une tonne, j’entendais comme à travers du coton… On dut me ramener à la maison, portée par deux machinistes. Clouzot m’avait droguée en me faisant absorber deux somnifères puissants. Je mis 48 heures à me réveiller ! Mais la scène était réaliste et on ne peut plus vraie ! »
Cette scène de suicide et la méthode utilisée pour la tourner fut-elle à l’origine de la tentative, bien réelle, de Brigitte Bardot, le 28 septembre 1960, jour de son anniversaire, de mettre fin à ses jours, buvant du champagne et, à chaque gorgée, avalant un comprimé d’ « Imménoctal », avant d’utiliser une lame d’acier pour s’ouvrir les deux poignets, devant une bergerie, en pleine campagne.
« Le sang coulait à flots de mes veines. Je m’allongeai, regardai les étoiles au milieu des moutons. J’étais sereine, j’allais me dissoudre dans cette terre que j’ai toujours aimée », écrivit-elle, ne devant sa survie qu’à un enfant, qui, passant par là, put prévenir l’« Hôpital St.-François » de Nice. S’étant réveillée, 48h plus tard, elle déclara ensuite :« Mon retour sur cette terre fut un cauchemar. Prise pour une folle par les médecins, ceux-ci me confièrent à des psychiatres. J’eus droit à une camisole de force. » … Et ceci, alors qu’elle devait encore participer à la synchronisation de « La Vérité », … qui ne put donc être réalisée, en sa présence, que grâce à l’intervention d’un enfant et de plusieurs médecins…
Pour ce film, Brigitte Bardot remporta, en 1960, le « Prix Europe bruxellois de la meilleure Actrice », en 1961, le « Prix international ‘Ciné-Revue’ de la meilleure Actrice » et le « Prix David Donatello de la meilleure Actrice étrangère ».
Dans un tout autre registre, elle fut la créatrice, en 1987, de la « Fondation Brigitte Bardot », un organisme ayant pour objet la protection des animaux, étant, à ce titre, de nombreuses fois honnorée, par différents Prix, en Autriche, en Espagne, en France, aux Etats-Unis, en Grèce, en Italie et en Ukraine.
Quant à Henri-Georges Clouzot, notons qu’il reçut pour « La Vérité », le « Grand-Prix du meilleur Réalisateur du Cinéma français » et, en Argentine, le
« Prix du meilleur Réalisateur » du « Festival international du Film de Mar del Plata ».
Par ailleurs, il reçut, entres autres, pour :
– « Quai des Orfèvres » (1947/105′), le « Prix du meilleur Réalisateur » de la « Mostra de Venise » ;
– « Manon » (1949/100′), Le « Lion d’Or » de la « Mostra de Venise » et le « Prix Méliès » ;
– « Le Salaire de la Peur » (1953-142′), le « Grand-Prix » (ancêtre de la « Palme d’Or » ) du « Festival de Cannes », l’ « Ours d’Or » du « Festival de Berlin », le « BAFTA du meilleur Film », à Londres, le « Blue Ribbon Awards du meilleur Film étranger », au Japon, et le « Prix Méliès » ;
– « Les Diaboliques » (1955-117′), le « Prix Edgar-Allan-Poe du meilleur Film étranger », à New-York, et le « Prix Louis-Delluc » ;
– « Le Mystère Picasso » (1955-78′), le « Prix du Jury » du « Festival de Cannes ».
A chacun de juger, ce mardi 12 février, de la qualité de ce film d’Henri-Georges Clouzot et de laperformance dramatique de Brigitte Bardot.
Yves Calbert.