"Alix - L' Art de Jacques Martin", au "Cinquantenaire", jusqu'au 06 Janvier
Au croisement de l’Histoire et de la BD, au Cinquantenaire, le « Musée Art et Histoire » nous invite à (re)visisiter sa section consacrée à la Rome Antique, agrémentée par la présence de planches originales d’ « Alix », un personnage de bande dessinée créé, il y a 70 ans, au sein du « Journal de Tintin », le 16 septembre 1948, par Jacques Martin (1921-2010), cette exposition, ouverte jusqu’à ce dimanche 06 janvier, s’intitulant : « Alix – l’Art de Jacques Martin ».
Désormais traduit en 15 langues, 12 millions de ses albums – édités par « Lombard » de 1956 à 1959, puis par « Casterman », depuis 1965 – ayant été vendus, « Alix » fut scénarisé et dessiné par le français Jacques Martin, jusqu’en 1988, son 19ème et dernier album étant « Le Cheval de Troie », pour lequel il reçut, en 1989, le « Prix de la BD d’Or » du « Salon européen dde la BD », à Grenoble.
La qualité de sa vision diminuant, différents dessinateurs l’épaulèrent, alors qu’il continuait à rédiger les scénarios de son héros, seul jusqu’en 2005, avec le 24ème album, « Roma Roma » et avec d’autres scénaristes, jusqu’en 2009, avec le 28ème album, « La Cité engloutie », la série continuant après son décès…
Lorsqu’il rencontre« Hergé » (Georges Remi/1907-1983), ce dernier ne voulait pas d’ « Alix » dans les pages du « Journal Tintin », dont il était, alors, le directeur artistique, lui disant : « Vous avez beaucoup de progrès à faire. »
Néanmoins, en 1949, « Hergé » écrivit à Jacques Martin : « Bravo pour la manière magistrale dont est menée l’action du Sphynx ! C’est passionnant ! » Aussi, en février 1954, il lui permet de rejoindre les « Studios Hergé », afin de l’assister pour « La Vallée des Cobras », un album des aventures de « Jo, Zette et Joko », entamé avant-guerre et abandonné à la planche vingt-cinq. Cette collabration . s’avérant efficicace, ce seront alors plusieurs aventures de « Tintin », à partir de « L’Affaire Tournesol ».
En 2010, notre collègue, Olivier Delcroix, écrivait dans « Le Figaro » : « Un jour, ‘Hergé’ m’avait indiqué qu’il y avait un petit bois à vendre, non loin de sa maison de campagne. Lorsque j’ai visité l’endroit, il m’a tout de suite plu… Paradoxalement, je me suis installé près d’ ‘Hergé, au moment même où je le quittais. Oui, c’est ça, ma femme et moi avons quitté Bruxelles pour nous installer à Bousval, en 1972, l’année où j’ai démissionné des ‘Studios Hergé’,
soucieux de me consacrer pleinement à 'Alix'.
Réunissant plus de 150 œuvres originales, l’esposition « Alix – L’Art de Jacques Martin », inaugurée, à Bruxelles, dans le cadre de l’ouverture du « Festival de la BD », fut créée lors du « Festival d’Angoulème », au « Musée de la Bande dessinée », du 25 janvier au 13 mai 2018. Articulée autour de la figure centrale d’ « Alix », cette exposition revient sur la singularité de l’esthétique de Jacques Martin, de ses premiers travaux publicitaires à l’affirmation d’un style graphique et narratif extrêmement personnel.
Vint « Alix Graccus », un jeune esclave, qui devient le fils adoptif d’un riche romain, « Honorus Galla ». Ami de Jules César, il est caractérisé par son courage exemplaire et le tiraillement entre son origine gauloise et son adoption romaine.
Dès le second album, « Le Sphinx d’Or », édité par « Lombard », en 1956, et réédité par « Casterman », en 1971, il est épaulé par « Enak », âgé de quatorze ans. Ce jeune personnage ne devait vivre qu’une seule aventure, mais suite aux demandes des lecteurs du « Journal Tintin », devenant l’ami
d’ « Alix », il continua à évoluer à ses côtés.
Notons que si Jacques Martin f, un autre géant de la « ligne claire », fut influencé par « Hergé », contrairement à ce dernier, de nombreuses femmes furent dessinées dans ses récits, et, fait rare pour l’époque, parfois présentées en se baignant nues, ce qui est évoqué dans la section « L’Amour des Corps » de cette intéressante exposition : « L’approche des corps chez Martin, d’abord très académique, se fait de plus en plus sensuelle au fil des albums ». A ce niveau, Jacques Martin déclara : « Pour l’anatomie, je m’en tiens à un grand principe, pour bien dessiner un corp, il faut l’aimer »… Et dans différents interviews, il n’hésita pas à ajouter que « les rapports homosexuels étaient fréquents chez les romains. »
Par ailleurs, il écrivit : « Si dans mes histoires, il n’y a pas de grands méchants, les bons, eux, ne sont pas parfaitement bons. ‘Alix’ et ses amis ne sont pas des êtres parfaits. Ils sont succeptibles de commettre des erreurs. »
Dans le Musée, en sous-sol, à hauteur de l’imense maquette de la Rome Antique, il a été décidé d’évoquer son 7ème album « Le dernier Spartiate » – édité, en 1967, par « Casterman » -, ce récit ayant été contesté car étant, soi-disant dégradant pour la Grèce, ce qui fit réagir Jacques Martin, qui écrivit, en 1969 : « Il m’appartient de montrer des patriotes grecs résistant vaillamment à l’occupant, mais il ne m’était évidemment de les montrer vainqueurs… Les personnages s’expriment avec noblesse, agissant avec courage et, même héroïsme… Nombre de connaisseurs de la Grèce m’ont félicité pour la justesse de l’atmosphère… Si je devais le recréer aujourd’hui, ‘Alix’ serait Grec, vivant à l’époque de Périclès et de la guerre du Péloponèse… »
Ce que nul ne peut contester chez cet auteur, c’est l’esthétique classiciste de son oeuvre, s’appuyant sur une vision à la fois rigoureuse et fantasmée de l’Antiquité romaine, « Alix » restant un personnage complexe, qui triomphe mais doit négocier, comprendre et relativiser les mondes inconnus qu’il traverse, environné d’apparitions étranges et inquiétantes…
De retour un étage plus haut, nous découvrons son second héros, un contemporain, nommé Lefranc. « Quand j’ai présenté Lefranc au ‘Journal Tintin’, je n’avais pas l’intention d’en faire une série », nous révèle-t-il. La première aventure, « La grande Menace », publiée au sein du « Journal Tintin », dès le 21 mai 1952, fut ensuite éditée en albums par « Lombard ».
Ayant été vendue à plus d’un million d’exemplaires, l’éditeur souhaita que Lefranc puisse vivre d’autre aventures. Ainsi, Jacques Martin fut le dessinateur et scénariste des deux récits suivants, demeurant le scénariste d’autres albums, avant qu’une dizaine de scénaristes lui succèdent, tous les albums étant, désormais, édités par « Casterman », son compagnon d’aventures étant le jeune « Jeanjean », reconduisant, ainsi, un duo semblable à celui formé par
« Alix » et « Enak ».
Soulignons, enfin, que Jacques Martin obtint le « Prix de la meilleure Oeuvre réaliste française », au « Festival d’Angoulême, en 1978, pour son 13ème album « Le Spectre de Carthage », édité par « Casterman, en 1978., avant de recevoir, à Bruxelles, le « Prix St.-Michel du meilleur scénario réaliste », en 1978, le « Grand-Prix St.-Mihel », pour l’ensemble de son oeuvre, en 2003. Elevé, à Paris, comme « Commandeur dans l’Ordre des Arts et des Lettres », en 2005, avant d’être le lauréat du « Crayon d’Or » du 22ème « Festival BD de Middelkerke ».
Profitons donc des derniers jours des Vacances de Noêl pour visiter cette exposition, organisée en collaboration avec le« Festival international de la bande dessinée d’Angoulême » et la « Cité internationale de la Bande dessinée et de l’Image », dont le principal intérêt est de ne pas se limiter à l’oeuvre de Jaques Martin – ses 150 originaux étant rassemblés par thématiques (références historiques, traitements de l’imaginaire, de la femme, … -, mais bien d’intégrer celle-ci , selon ces mêmes thématiques,au sein des collections permanentes du « Musée d’Art et d’Histoire ».
… Et pour nous rappeler cette superbe exposition, pour tout mordu d’histoire et/ou de BD, n’hésiteons pas à acheter l’un des deux Catalogues, édités par
« Casterman », celui de 160 pages étant vraiment complet et de haute qualité ! … A noter que « Casterman », avec « Lonely Planet », a édité, en 2010, un guide touristique broché, intitulé « Rome, Itinéraires avec Alix » (15€), nous proposant 10 itinéraires, qui nous feront voyager dans le temps, de la Rome antique à nos jours, en passant par le Moyen Âge ou l’époque baroque… Assurément, un bien beau voyage, avec « Alix » comme guide ! …
Ouverture : jusqu’au dimanche 06 janvier, de . Prix d’entrée : 10€ (seniors emembres d’un groupe: 8€ / moins de 18 ans : 0€). Catalogue : 39€ (Ed.
« Casterman »/Gaëtan Akyüz, Stéphane Beaujean, Romain Brethes, Pauline Ducret, Didier Pasamonik & Yann Potin/160 pages/24.8 x 34.8 cm). Catalogue résumé : 19€95 (Ed. « Casterman » ). Site web : www.kmkg-mrah.be.
Yves Calbert.