Cinéma : « The Servant » et « Bitter Flowers »
Ce mardi 06 mars, à 12h et et à 20h, retour des « Classiques du Mardi », du « Service Cinéma » de la Province de Namur, avec « The Servant » (Joseph Losey/UK/1963/115’/scénario d’Harold Pinter), ce film au parfum de soufre ayant obtenu, en 1964, trois « British Academy of Film and Television
Awards » (« BAFTA »), ceux du meilleur Acteur, pour Dirk Bogarde, de la Révélation de l’Année, pour James Fox, et de la meilleure Photographie, pour Douglas Slocombe).
Synopsis : « À Londres, Tony, un aristocrate jeune et brillant, vivant dans une luxueuse demeure du 18ème siècle, engage Hugo Barrett comme domestique. Ce valet de chambre ne tarde pas à le fasciner. Etre fragile et superficiel, Tony cède à une attirance tout à fait cérébrale, qui fait de lui le jouet de Barrett, qui convainc Tony d’engager Vera, sa maîtresse, qu’il fait passer pour sa soeur. Lorsque Tony se rend compte des liens réels qui les unissent, il chasse Barrett… Ne pouvant s’empêcher de penser sans cesse à Vera, il ré-engage Barrett, un valet modèle, travailleur et intelligent, qui va le conduire d’humiliation en humiliation, au grand dam de Susan, qui a bien tenté de ravir Tony à l’emprise du maléfique valet… »
« The Servant est un chef-d’œuvre du thriller domestique, trouble, ambigu, subversif, dans son attachement à suggérer un rapport homosexuel, voire sadomasochiste, au début des années 60, entre un bourgeois et son valet fraîchement employé. Joseph Losey (1909-1984, ndlr) conçoit son film comme une authentique diatribe contre le système de classes, mises à mal dans le rapport subverti entre le jeune bourgeois décadent et son valet charismatique mais malveillant, qui peu à peu l’assujettit à ses charmes et retourne contre lui le rapport maître-esclave… Elégant, malveillant, le majordome de Joseph Losey a la beauté vénéneuse de l’ambigu Dirk Bogarde, dans un rôle qui forgea bien des fantasmes de cinéma… Un mythe fondateur » (« Les Grignoux »).
« Ce film, véritable bombe baroque, secoue le cinéma anglais contemporain… La nouvelle vague british a déjà commencé à faire parler d’elle, … mais la sophistication de la mise en scène de Losey, et son observation sans pitié des mœurs de la haute société le situent loin, bien loin, du « réalisme d’évier » de ses confrères proches des classes populaires. ‘The Servant’, sélectionné à la ‘Mostra de Venise’ de 1963, impose enfin Losey comme un auteur qui compte. Déjouant les sombres pronostics des producteurs inquiets, le film marche et lance, au passage, James Fox et Sarah Miles. Pour Bogarde (1921-1999/anobli par la Reine Elisabeth II, en 1992, ndlr), il constitue un tournant. Quant à son impact sur le destin de Losey, il marque tout simplement le début d’une nouvelle carrière et d’une nouvelle vie » (« Télérama »).
« Ce qui me fascine dans le film ‘The Servant’, c’est la démonstration presque mathématique de la déchéance aristocratique de ce jeu d’hommes fermés sur eux-mêmes et qui n’ont pas la possibilité d’ouvrir la moindre perspective. Le fait que ce soit un monde clos dans le décor est aussi une métaphore,
me semble-t-il, d’un monde social sans ouverture, sans perspective, et qui ne peut que se nécroser de l’intérieur. La métaphore de la déchéance alcoolique de Tony et de son impossibilité à exprimer quelque sentiment que ce soit qui ne soit entièrement factice, lié à une impuissance fondamentale, dit quelque chose aussi bien de la société britannique – socialement hiérarchisée, figée par des rapports de pouvoir, vestiges de l’impérialisme et de l’aristocratie dominante du 19ème siècle – que de la posture masculine dans cette évolution qui n’est plus contrôlée par personne » (Gérard Wormser/« Télérama »).
« Il y a quelque chose dans le décor de ‘The Servant’ qui symbolise cette nécrose, … c’est le jeu des miroirs. Il y a énormément de miroirs dans la maison. Ces miroirs, qui sont constamment filmés, ont pour moi deux fonctions. La première fonction, c’est l’inversion… Quand on a une caméra qui filme une scène avec pour arrière plan un miroir, le miroir nous en renvoie une image inversée. Par exemple, lorsque Tony est en premier plan et que Barret est en train de faire la poussière derrière lui, le miroir nous montre Barret en premier plan et Tony en second plan. Losey se sert ainsi des miroirs pour donner une dynamique, pour mettre en perspective les rapports de pouvoir. Ensuite, le miroir symbolise le narcissisme de Tony : à force de se regarder dans les miroirs qui sont disposés partout dans sa maison, il finit par ne plus rien voir du tout en dehors de lui-même. Il se regarde beaucoup, mais il ne regarde pas beaucoup le monde autour de lui, il ne perçoit pas ce qui se passe dans sa maison en dehors de l’image qu’il reflète dans le miroir… Techniquement,
les effets de miroir et d’ombres voulus par le cinéaste posent problème au chef opérateur, Douglas Slocombe, qui fait l’impossible pour travailler avec ce fameux miroir convexe, dont la réflexion inverse la place des personnages dans le champ et donc, le rapport maître – serviteur » (Clifford Armion/
« Télérama »).
« … Le fait de mettre en scène ce film dans une maison victorienne (où Joseph Losey décéda, l’ayant achetée après la fin du tournage, ndlr) est bien entendu très significatif, puisqu’en la choisissant comme toile de fond, le scénariste Harold Pinter (1930-2008/Prix Nobel de littérature, en 2005, ndlr)
nous donne l’impression que cette société britannique n’a pas évolué depuis la période victorienne, depuis le 19e siècle. On découvre cette maison presque comme une ruine ; c’est une scène vide, elle est inoccupée. Tony qui est un jeune aristocrate peu fortuné, et qui vient de toucher un petit héritage, s’achète une maison relativement modeste, mais qui est située dans les beaux quartiers de Londres. On a l’impression qu’en restaurant et en occupant cette maison victorienne, il veut faire revivre ou ressurgir une société, agonisante, du 19e siècle, … qui essaye de s’accrocher à son passé et à des conventions sociales aussi fragiles que celles du théâtre ; il suggère aussi que ces conventions n’ont plus lieu d’être » (Clifford Armion/ « Télérama »).
« Cette histoire de couple infernal, conte moral et virulent sur la servitude et la servilité, ne peut être limitée à une relation homosexuelle… Sa mise en scène, sa fluidité sensuelle, joue des miroirs et des longs plans-séquences. On lit – sur le modelé des visages, la dégradation progressive d’un profil ou d’une paupière, le négligé d’une mèche de cheveux ou d’un col de chemise – que la déchéance est une bonne école pour la vérité » (Michel Grisolia, pour
« Télérama »).
En ce même mardi 06 mars, à 20h, à Liège, au « Sauvenière », avant-première de « Bitter Flowers » (Olivier Meys/ Bel./2018/95′), le premier long-métrage de fiction d’un réalisateur belge ayant vécu 15 ans en Chine, tourné, en 2016, dans ce pays, ainsi qu’à Paris et à Rennes, présenté, en partenariat avec les « FPS » (« Femmes Prévoyantes Socialistes »), dans le cadre de la « Journée internationale des Droits des Femmes », dénoncant les inégalités et les injustices qu’elles vivent au quotidien, à travers le monde, la projection étant suivie d’une rencontre avec l’équipe du film.
Synopsis : « Lina, mère d’un petit garçon de 6 ans, sent le monde autour d’elle s’écrouler. En cette fin de 20ème siècle, le Dong Bei, région industrielle originellement prospère, paye un lourd tribut suite au passage de la Chine à l’économie de marché. Lina ne veut pas laisser tomber. Souhaitant réussir,
elle veut trouver une place dans cette nouvelle société qui se dessine, se voyant patronne et, surtout, voulant un avenir brillant pour son fils. Pour cela, Lina est prête à se sacrifier. Confiante, comme beaucoup d’autres, elle part tenter l’aventure de l’exil en France, dans l’espoir de revenir rapidement avec des fonds… »
« Un magnifique portrait de femme, poignant et lumineux d’une mère courage au sein d’une économie carnassière. Mobilisant toute son énergie pour lutter contre la fatalité, le marasme économique, la précarité dans laquelle elle évolue, Lina ne plombe jamais le film, qui a le talent de cerner les moments de solidarité, de complicité qui lient toute une communauté, qui doit réinventer au quotidien des moyens pour garantir sa survie » (« Les Grignoux »).
« A noter que ce « chassé-croisé entre l’Europe et la Chine est étourdissant, insufflant au film une incroyable clairvoyance politique : les blessures sociales, le fracas de la déglingue urbaine ne se cristallisent pas uniquement dans cette ville industrielle de la Chine profonde. Mais Paris, ‘Ville Lumière’, étant loin d’être l’ ‘Eldorado’ escompté, possède, également, sa part d’ombre, au sein de ses quartiers minés par l’extrême pauvreté, le travail étant rare et très mal payé, sauf pour quelques femmes, qui, présentes sur le trottoir, semblent tirer leur épingle du jeu » (texte inspiré par ceux des « Grignoux »).
Directeur de la société « Mille et Une Films », Gilles Padovani écrit : « Ce film est bien ancré dans le réel, en évitant le pathos et quelque chose de trop voyeur. La comédienne est magnifique, l’image très belle. Le chef opérateur des frères Dardenne, présent sur le film n’y est pas étranger. »
Ce même événement, incluant une rencontre avec le réalisateur, est programmé à Namur, également dans le cadre de la « Journée internationale des Droits des Femmes », au « Caméo », le jeudi 08 mars, à 20h. La projection de « Bitter Flowers » sera présentée par Christelle Bernard et Sophie Linsmeau, membres de la coopérative « La voix des femmes », créée pour contribuer à la lutte contre les inégalités et les injustices sociales faites aux femmes, avec pour axes principaux : le logement et la garde d’enfants.
A souligner qu’à l’occasion de 16 séances ordinaires, ce film sera à l’affiche, à Liège, au « Churchill », du mercredi 28, à 16h15 jusqu’au mardi 10 avril, à 20h, ainsi qu’à l’occasion de 12 séances ordinaires, à Namur, au « Caméo », du mercredi 28, à 12h, jusqu’au mardi 10 avril, à 20h. A Mons, au « Plaza Art », il sera projeté en avant-première, le mardi 27, puis jusqu’au mardi 03 avril. Bien sûr, il sortira, également, en salles, à Bruxelles, dès le mercredi 28.
Exposition :
De retour à Namur, notons que, dans le cadre de la quatrième édition de l’événement « Chambres avec Vues », nous sommes conviés au vernissage de l’exposition du sculpteur namurois Luc Broché et de son ami bordelais, le peintre Damien Ferré, leurs oeuvres restant exposées jusqu’au mercredi 11 avril, tant au « Caméo » que dans son accueillante brasserie « Caféo ».
Bilan 2017 :
Contrairement à certaines informations publiées dans la presse locale, soulignons qu’à Namur, le « Caméo » a enregistré quelques 150.000 entrées, en 2017, « Les Grignoux » en espérant, en fait, 120.000, ce qui leur offre un intéressant bonus de 30.000 entrées sur leurs prévisions. Ainsi, dans la catégorie des « Cinémas d’Art et d’Essai », en « Communauté française Wallonie-Bruxelles », seuls le « Vendôme », à Bruxelles, et les salles liégeoises
des « Grignoux » enregistrent une fréquentation quelque peu supérieure.
Yves Calbert.