Houffalize - L’envers des cartes postales
L’envers d’une carte postale peut avoir une sensualité que le recto n’aura jamais
Chaque envers d’une ancienne carte postale imprimée au recto en des milliers d’exemplaires est une œuvre unique.
Parce qu’il est le support d’une relation épistolaire entre personnes confidentes, qui plus est devenues fantômes sans os.
Il y a d’abord l’écriture. Qui, comme toutes les écritures, est singulière.
Une écriture qui est une calligraphie. Une calligraphie qui est une œuvre d’art.
Sensualité de l’écriture
La surface écrite a été touchée. Délicatement. Caressée.
Caressée par la main d’une femme, car c’est toujours une femme qui faisait les écritures. Et par la partie de sa main que les cartomanciennes appellent le mont de lune.
Cette carte en papier couché mât a vécu la sensualité d’un instant d’insouciance.
Dans un hôtel. Dans son hôtel.
Car pour écrire, il faut tremper une plume Ballon dans l’encrier. Et il n’y a que dans son hôtel qu’on en dispose à son aise.
Dis-moi, carte postale…
La couleur et la nature de l’encre, la largeur de la pointe de la plume pourront révéler bien des choses. L’encre s’est-elle déteinte de son brillant original ? Voilà qui nous en apprend sur une situation de fortune. La plume était-elle légère ou appuyée ? D’une Madeleine de Proust, ou d’une Elsa Triolet ?
Elles nous apprennent aussi, les cartes postales, que les femmes étaient souvent seules en villégiature, ou avec une amie. Bourgeoises souvent, donc oisives de leur état. Bourgeoises dont le mari est demeuré seul à la maison soigné par une servante.
Étrange, l’oblitération
Devant moi j’ai une Spadoise. Inutile de décrypter l’oblitération pour savoir que nous sommes avant 1936 : elle n’a rien d’une congés payés
Est-elle, ainsi que messire son mari, dans l'amusante décennie d’avant 29, soit avant la crise économique ?
Voir. Pas de timbre à l’effigie du roi chevalier casqué.
Je découvre le pire : l’oblitération accuse 1917. Avant les années folles.
La Belgique est donc le lambeau de patrie qu’a glorifié Émile Verhaeren, mort l’an passé (1916).
Et à Houffalize, la guerre avait commencé avec un officier uhlan qui enterrait côte à côte trois de ses hommes et un dragon français (août 1914).
Si tu es de Houffalize, tu le savais. Mais seulement dans ce cas-là.
Ma spadoise
Ma Spadoise écrit à sa cousine qui est en vacances à Charleroi, lieu de villégiature privilégié de cette Bruxelloise.
Premièrs mots: "les truites sont bonnes".
Eh oui, d’après les cartes postales, la truite est le must de la gastronomie de Houffalize et alentours.
Sa truite
Et alentours, car la truite qu’on appellera « Mathurin de Nadrin » devient la recette appréciée partout en Belgique. The best one. Blanc de poireaux et crème fraîche.
Une truite, c'est Houffalize. Presque un pléonasme. Nous ne retrouvons cet hédonisme de table ni en aval de l’Ourthe, ni sur la Semois.
Mais en fait, elle les mange où ses truites ?
Et Nadrin
Le cachet de la poste fait foi : Houffalize - Visitez le Hérou -Villégiature idéale - Ideale Zomer en zovoort… Bezoek de Herou.
Eh oui, il fut un temps où l’attrait de Houffalize, c’était le Hérou.
La haute gastronomie était évoquée par ces deux mots : le Hérou.
Mieux, le quartier de bouche houffalois s’appelait le « quartier du Hérou ». Entre l'actuelle rue de l'Escarmouche et la rue du Pont. Il en subsiste l'enseigne de "Pâtisserie du Hérou". Pas "boulangerie - pâtisserie". À l'époque où Marcel Philippart excellait dans le pain de ménage, la Pâtisserie du Hérou s'affichait fin bec.
Curieux, mes aïeux, que cette bipolarité Houffalize Le Hérou, autrement dit Houffalize Nadrin (le nom de la commune où se trouve la Hérou), il y a cent ans.
Nadrin dont le nom n’apparait d’ailleurs presque jamais : Houffalize, le Hérou.
Et pourtant Nadrin n’est même pas une commune attenant à Houffalize par la route : il faut traverser Wibrin, ou à tout le moins son hameau de Mormont.
Nadrin qui, commune fusionnée avec Houffalize en 1977, appartient aujourd’hui à un syndicat d’Initiative extracommunal différent de celui de Houffalize, donc nécessairement concurrent.
Le Hérou, dont le nom est presque devenu inconnu des Houffalois. Faut-il voir dans cet oubli par la mémoire collective des Bordjeus une sorte de représailles d'avoir été écrasés, à la Belle époque, par la falaise où l'on pouvait lire: Vieux Chêne foudroyé pour la troisième fois. L'écho se répète ici quatre fois?
(à suivre)
René Dislaire © Houffalize le 29 octobre 2017
Du même auteur :
Articles sur « l’envers des cartes postales » de Houffalize, première partie du XXe siècle.
* 1. Houffalize : l’envers des cartes postales - (2017)
* 2. Houffalize – Cartes postales – Rédaction et contenu – vocabulaire, orthographe et style
* 3. Belle époque et années folles