De la pédagogie à la démagogie budgétaire

écrit par admin
le 01/10/2009

Réponse à Madame la Ministre de l’enseignement obligatoire :
L’Homme parvient à échapper à l’exploitation grâce à l’alphabétisation. Les pays en voie de développement continuent à souffrir d’un manque d’éducation qui les conduit à la misère.
En Occident, nos enfants ont la chance de fréquenter des écoles et, pour certains, de poursuivre un enseignement qui les mènera vers une carrière (de ministre, par exemple). Les professeurs sont nécessaires car les études sont la clef de la réussite. Tous les parents s’inquiètent quand leurs enfants se retrouvent en difficulté scolaire.
Pourtant, le budget de l’enseignement subit énormément de compressions. Les travaux inutiles perdurent. Les droits de succession, l’eau, l’électricité, la téléphonie, le revenu cadastral, les impôts directs, et j’en passe, sont parmi les plus élevés du monde.
La Belgique compte le plus grand nombre de ministres par habitant.
Comment faire avaler tant de pilules au peuple belge ?
Et bien, en pointant du doigt un autre secteur ; c’est tellement facile !
Il suffit de transformer une réalité et de la présenter avec aplomb.
Le pays va mal, c’est la crise. Les enseignants sont responsables : ce sont des paresseux qui coûtent cher à la Communauté.
Comment, dès lors, expliquer que tant de jeunes fuient ce métier merveilleux ?
La pénurie de professeurs dans certaines branches nous révèle une réalité bien différente de celle présentée par Madame Simonet qui sanctionne abusivement. Ces « fainéants » ne travaillent que 20 à 24 heures par semaine.
Parlons-en ! Tout d’abord, est-il nécessaire de rappeler la fatigue et le stress générés par une heure de cours ?
Un professeur, en effet, c’est comme un artiste qui n’est pas choisi par ses spectateurs. Il est obligé de « jouer » devant une salle qui n’a pas toujours envie de l’écouter. La concentration est extrême et pas question de rêver une minute : 30 têtes sont tournées vers le maître qui transmet un savoir, développe des compétences, maintient le calme… L’enseignant se voit confier bien d’autres missions : entretenir la camaraderie, apprendre à ces jeunes le savoir-vivre, l’intégrité, la justice… Et de plus en plus souvent, il tient un rôle d’assistant social et de psychologue.
A ce propos, Madame la Ministre, vous n’avez pas compris la psychologie d’un être humain. Nous les professeurs, nous avons appris à encourager avec doigté nos élèves et, ainsi, nous les amenons à améliorer leurs résultats et leur comportement. Il aurait suffi de peu de choses pour nous conduire à accepter de nouveaux sacrifices car nous sommes conscients de vivre une crise mondiale. Une promesse d’emploi pour les jeunes grâce aux aménagements de fin de carrière. Une prise de conscience des difficultés budgétaires sans agression et animosité à notre égard. Une reconnaissance des efforts déjà consentis par les enseignants depuis la communautarisation.
C’est vrai que lorsque le professeur termine son cours, il est épuisé. D’ailleurs, certains médecins ont l’occasion d’enseigner ou de présenter des conférences. Ils sont unanimes : ce n’est pas un métier de tout repos. Les collègues qui ont travaillé en entreprise (ingénieur civil, par exemple) affirment qu’ils sont aussi fatigués avec 20 à 24 heures de cours qu’avec 45 heures dans leur ancien poste. De plus, la plupart des jeunes qui essayent l’enseignement nous quittent après 2 ou 3 ans (40%).
Nous pouvons donc affirmer qu’une heure de cours équivaut à 2 heures d’un autre travail.
Quel comédien joue 20 à 24 heures par semaine ?
Quel avocat plaide 20 à 24 heures par semaine ?
Un interprète se repose une demi-heure après chaque prestation de 30 minutes.

Madame la Ministre a également oublié toutes les autres prestations des professeurs : délibérations, conseils de classe, réunions de parents, titulariat (corrections des journaux de classe, rédaction des bulletins…), le travail administratif (cahier de matière, fiche d’évaluation…), les formations pédagogiques…
Tout cela représente de nombreuses heures de travail et de tracasseries.
Parlons du travail à domicile : un jeune enseignant prépare pendant 3 heures chaque leçon.
Madame Simonet a surtout oublié les corrections, un détail bien entendu. Un exemple, un professeur de français expérimenté qui a 120 élèves consacre minimum un quart d’heure à la correction d’une seule dissertation. En effet, n’oublions pas qu’il faut maintenant respecter des grilles de correction très complexes : les directives ministérielles se succèdent et ne se ressemblent pas. 120 fois 15 minutes, on comptabilise ainsi 1800 minutes, soit 30 heures. En effectuant 4 contrôles pas trimestre, on arrive ainsi à 120 heures et donc une moyenne de 10 heures par semaine. Nous sommes très loin des 20 heures annoncées.
Il faut ajouter le plus important : le bénévolat comme le prêt des livres, les inscriptions, les horaires, les ASBL et bien sûr les excursions, les voyages scolaires, les spectacles, les journées « portes ouvertes », les olympiades de mathématique, de chimie et autres concours comme le tournoi d’interprétation, d’éloquence, le concours d’orthographe…
Ces dernières activités se préparent pendant des semaines et procurent de la fierté aux parents qui découvrent les talents « cachés » de leurs enfants.
Dans le primaire, certains enseignants repeignent leur classe ou construisent un mur d’escalade pendant les vacances.
Merci donc, Madame la Ministre, de nous soutenir dans nos efforts !
Nous, qui guidons nos élèves sur le chemin de l’avenir, nous sommes heureux de constater combien vous nous respectez.
Grâce à vos déclarations, les enseignants pourront redorer leur blason déjà bien entaché par certains de vos prédécesseurs.
Face à tant de mépris injustifié, nous somme démunis. Une grève ? Quand les transports en commun s’arrêtent, le pays est paralysé. Mais, quand les professeurs font la grève, ils enrichissent leur employeur qui ne doit plus les rémunérer. C’est sans doute cela que vous souhaitez en jetant un tel pavé dans la mare : une grosse économie qui permettra de renflouer les caisses de la Communauté pendant que d’autres considèrent les parachutes dorés comme un acquis social !
C’est vrai que la Belgique a creusé un déficit de 25 milliards d’euros en un an. Mais à qui la faute ? Les spéculateurs, le monde financier, la « mal gérance », l’incompétence de certains dirigeants qui ne voient que le court terme c’est-à-dire le temps de leur mandat.
Certainement pas celle des travailleurs, dont les professeurs font partie, quoi que vous en disiez, Madame la Ministre.
Nous sommes également des parents et ne souhaitons pas prendre les enfants en otage alors que leur avenir est déjà tellement compromis.
Nous pouvons descendre dans la rue comme les agriculteurs qui sont exploités et qui, malgré leur « promenade » en tracteur, n’ont obtenu que des miettes « de ce pain qu’ils ont semé ».
Une dernière précision : les professeurs sont payés 10 mois répartis sur 12. Juillet et août ne sont donc pas des congés mais plutôt un chômage technique forcé.
Vous voulez faire des économies à juste titre, nous vivons des temps difficiles. A propos, les émoluments de la pléthore de politiciens vont-ils suivre le courant des restrictions ?
Au lieu d’alourdir la tâche de gens fatigués par des pressions de plus en plus fortes et de décourager les jeunes enseignants qui perdront peut-être leur emploi, on aurait aimé entendre d’un ministre, en début de mandat, des paroles rassurantes.
Nous ne sommes pas effrayés par le surcroît de travail, notre bénévolat permanent le prouve. En effet, l’enseignement est un des secteurs où les heures « sup » ne sont pas rémunérées.
Nous sommes surtout blessés par le manque de considération qui transparaît dans le discours d’un ministre qui est censé nous soutenir dans une tâche de plus en plus difficile.
En lisant les réactions négatives provoquées par de telles déclarations (« les professeurs ne TRAVAILLENT que 20 heures par semaine »), il est clair que Madame la Ministre nous a discrédités injustement aux yeux de l’opinion publique.
En ces temps de crise, les professeurs refusent d’être le bouc émissaire qui vous permettra, Mesdames et Messieurs les politiciens, de récolter des voix pour les prochaines élections.
Le peuple belge n’est pas à l’abri, contrairement à ceux qui votent des lois permettant à certains de cumuler et d’atteindre des salaires nets indécents. Rémunération sans commune mesure avec celle des électeurs qu’ils sont censés représenter et défendre !
En conclusion, il est clair que tous les habitants de la planète paieront la facture de la crise mondiale, les professeurs également, bien entendu. Mais, faut-il en plus être humiliés et diminués par nos représentants ?
Serrons-nous la ceinture, d’accord, mais dans la dignité, d’autant plus facilement si nos décideurs montrent enfin l’exemple.
Non, Mesdames et Messieurs les politiciens, la devise du peuple belge n’est pas « Diviser pour mieux régner » mais « L’union fait la force ».
SAUTONS TOUS ET SANS PARACHUTE !

Des professeurs du secondaire.

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