"Au Royaume des Touloulous" au "Musée du Masque"

écrit par YvesCalbert
le 20/04/2019
"La Nuit je danse", une video de sept minutes (c) Laure Chatrefou

Comme, à son habitude, le « Musée International de Carnaval et du Masque » (« MICM »), à Binche, nous propose d’intéressantes expositions temporaires, deux d’entre elles prenant fin ce dimanche 21 avril.

Tout d’abord, prenons un vol pour Cayenne, en Guyane française, département et région d’outre-mer, afin de vivre au « Royaume des Touloulous », grâce aux costumes acquis par le « MICM », ainsi que les installations visuelles et sonores créées par l’association « Super Chimère » et ses deux artistes vidéastes, Laure Chatrefou et Anne Guillou, diplômées d’un master en art et en anthroplologie, la première citée ayant vu son installation « Au Coeur du Debaa », remporter le premier Prix du concours national d’art contemporain « Art Laguna Prize », à Venise.

Nous découvrons un diaporama faisant face à quatre premières photographies, prises en 2016, par Laure Chatrefou, « Dame Nature » et « Costume
Arbre » étant entourées, à leur gauche, d’un couple de « Mariés burlesques », la mariée étant un homme et inversément, ainsi qu’à leur droite, de trois
« Touloulous »…

… Mais qui sont-ils ces « Touloulous », présents dans les Antilles (Guadeloupe et Martinique) et en Guyane ? A l’origine, ce mot, avec une lettre de plus,
« tourloulous », désignait les Antillais ayant participé à la Première Guerre mondiale, aussi bien que les gérarcins, des petits crabes de terre, que les matelots comparaient à des … fantassins de l’armée de terre. Ce terme de « Tourloulou » fut, néanmoins, en Guyane, publié antérieurement dans la presse, dès 1891, désignant tous les carnavaliers. Au début des années ’50, ce terme, devenu « Touloulous », incarnant la magie, le mystère et le rêve, se féminisa, seules les femmes, désormais, portant encore un déguisement intégral et un masque, plus particulièrement lors du bal paré-masqué, programmé le samedi soir.Résultat de recherche d'images pour "Laure Chatrefou photos du Carnaval de Cayenne"

Ces bals sont organisés dans des dancings, devenus amphithéâtres, où danseurs et musiciens mettent en place un jeu scénique où la « Touloulou » s’empare d’un cavalier, non déguisé, qui n’a pas le droit de refuser, étant choisi selon des critères affectifs, matériels, physiques et sociaux, … ceci nous étant prouvé par des enregistrements pris sur le vif, dont nous découvrons des extraits au sein d’une installation sonore de 32 minutes, réalisée par l’association « Super Chimère », une « Touloulou » se confiant : « il me faut un expert… qui possède un bon coup de reins », … ce propos, et bien d’autres, interrompant de nombreux extraits musicaux, nous plongeant au coeur du « Carnaval de Cayenne »… « Alors on danse », non pas avec Stromae …, mais avec une « Touloulou »…

S’éloignant des dancings, Laure Chatrefou met en scène des « Touloulous », de dos ou de face, dans un bureau, ou, mieux, en pleine nature guyanaise, devant la mer ou en pleine jungle.Résultat de recherche d'images pour "Laure Chatrefou photos du Carnaval de Cayenne"

Dans d’autres salles, nous nous trouvons tantôt confrontés à cinq vidéos sur grands écrans, nous présentant, dans l’ambiance musicale de l’événement, différents masques portés au « Carnaval de Cayenne », tantôt face à un petit écran dévoilant… l’effeuillage, en tout bien tout honneur, d’une « Touloulou », une vidéo de sept minutes, de Laure , intitulée « La Nuit je danse ». Grâce aux écouteurs, nous aurons une variation de rythmes, du plus vif au plus lent, sur lesquels cette danseuse guinéenne va se dévétir de ses différentes robes, chemisiers, jupes, l’une de ces dernières étant composée de nombreux foulards, dont elle se sépare l’un après l’autre, tout en continuant à danser, se retrouvant en chemisier doré et en jupe rouge, avant de terminer sa prestation en robe banche, de nombreux masques multicolors s’étant succédés, l’un d’eux dans la couleur d’un fruit apprécié par nos Gilles de Binche…

Viennent, enfin, pour clôturer en beauté, vingt costumes qui furent authentiqement portés au « Carnaval de Cayenne », le premier ayant un nom se rapprochant du « zombie » – un cocktail (à boire avec modération) à base de jus d’ananas et de différents rhums –, à savoir un« Zombi Baréyo », à la tête de chat blanc, un personnage issu des légendes créoles, ayant un esprit malfaisant. Attachés par une cordelette, ils défilent en bande.

Parmi les autres personnages importants, défilant essentiellement le dimanche gras, notons la « balayeuse », l’ordre et la netteté figurant parmi les principes qui honorent la famille guyanaise, sachant qu’au « Carnaval de Cayenne » cette « balayeuse », en robe « rivière salée », salit les pieds des spectateurs, au lieu de … nettoyer la rue, la brosse de son balais étant réalisée à la main, avec des lianes franches. Notons qu’autrefois des hommes portaient ce costume de « balayeuse »…

… De même le« jé farin » (jet de farine, en français), également présent, sur la droite, salissait les spectateurs endimanchés, avec de la farine, cette dernière étant, de nos jours, remplacée par des confettis, qu’il puise dans la grande poche ventrale de son tablier, sa coiffe, saupoudrée d’étoiles, ayant la forme d’un cornet, ce costume représentant la« fée de l’abondance », symbolisant la gaieté, la joie de vivre…

… De la farine, anciennement, nous passons à la suie et à l’huile, dont sont enduits les« nèg’ marrons » (noirs marrons, en français), des hommes défilant seulement vêtus d’un pagne (« kalimbé », en créole guyanais), qui représentent les esclaves fugitifs, appelés « marrons », défilant avec une graine d’awara dans la bouche, sachant qu’antérieurement, ils cherchaient à s’essuyer contre les beaux vêtements des spectateurs…

Certains costumes de Cayenne, sont inspirés des carnavals européens comme ceux de« La Caroline », qui sont deux Guyanais représentant deux individus, l’épouse portant son mari sur son dos, les jambes de cette dame, étant, en fait, celles de l’homme, ce dernier portant le personnage masculin, habillé à l’anglaise, … qui est tenu par une Guyanaise…

« La Caroline », rappelant une Britannique qui, devenue riche grâce à l’orpaillage, faisait l’objet d’une satire bien guyanaise, portant jalousement son mari, en costume « british », sur son dos, respectant ainsi un proverbe guyanais : « les bons maris sont rares, je porte le mien sur mon dos pour qu’on ne me le prenne pas ». A noter que l’épouse portant son mari sur son dos, possède, en fait, les jambes d’un… costaud Ghanéen, ce dernier portant le personnage masculin, qui est tenu par… une Guyanaise.

Si la ruée vers l’or est ainsi évoquée, soulignons que nous pouvons découvrir les costumes d’un coupeur de cannes à sucre, si important pour l’économie de l’île, mais qui était un travail particulièrement servile, propre à l’a colonisation ; ou encore d’un « vidangeur », avec un seau à ses côtés, qui était un bagnard, dont la corvée était, entre vingt-trois heures et cinq heures, d’assurer le vidangage des tinettes, à une époque, fin du XIXe siècle, où les fosses d’aisance n’existaient pas. Pensons, ainsi, à Henri Charrière (1906-1973), un Français qui écrivit le bien connu« Papillon » (Ed.« Robert Laffont »/Fra./ 1969), à l’origine d’un film éponyme (Franklin Schaffner/USA/ 1973/125’/avec Dustin Hoffman & Steve McQueen).

Notons encore la présence de costumes d’un « bobi », en toile de sac de pommes de terre, lui donnant une démarche lourde et lente, représentant un ours ou un éléphant, se roulant sur le sol lorsque son« dompteur » le lui demande, au risque d’être roué de coups s’il n’obtempère pas… ; d’une « soussouris », chauve souris maléfique, au comportement de vampire poursuivant les spectateurs dans la rue, ses ailes étant, autrefois, munies d’épingles destinées à les piquer… ; d’un« djad dan bwet » (diable dans la boîte, en français), homme déguisé en dame âgée… et laide, portant une boîte, les curieux déposant quelques pièces, afin de voir ce qui s’y cache…

… Et lorsqu’arrive le mardi gras, clin d’oeil aux amateurs belges de football, c’est au tour des« diabroujs » (diables rouges, en français) de défiler, munis d’un trident, vêtus de rouge et de noir.

« Last but not least », le dernier mannequin présente le « Roi Vaval », ce Roi du Carnaval, intronisé au début de cette période festive, à l’Epiphanie, mourant sur un bûcher, le mercredi des cendres.

Pour obtenir davantage d’explications sur ces différents costumes, nous pouvons consulter ces liens : http://lepetitrepublicaincollegeauxencecontout.e-monsite.com/pages/socie..., ainsi que : http://www.ville-cayenne.fr/lexique-sur-le-carnaval-de-guyane/.

Insistant sur l’importance donnée à ces déguisements – garantissant l’anonymat, ce qui induit une idée de métamorphose, ce choix de devenir quelqu’un d’autre n’étant pas anodin, car il permet de réaliser d’une part des désirs inconscients, voire inavoués, et d’autres part de donner libre cours à la
créativité -, nous quittons ce « Carnaval de Cayenne », l’un des événements majeurs de la Guyane française, si bien mis en valeur par le travail de l’association « Super Chimères » et par les costumes acquis par le« MICM ».

Sous la conduite de Marie Lempereur, détentrice d’une license en communication de l’ « IHECS » (« Institut des Hautes Études des Communications Sociales »), responsable de la communication du« MICM », nous quittons l’Amérique du Sud, pour nous retrouver à Binche, gagnant le second étage du Musée, les escaliers longeant une fresque de vitraux, peints à l’effigie du Gille de Binche, d’une dizaine de mêtres de hauteur.

Tout naturellement cette fresque due au talent de Gilles (un prénom de circonstance) Richez, né à Binche, à la veille d’un Carnaval, nous mène à une exposition, prolongée depuis le mardi 12 mars, prenant également fin ce dimanche 19 avril : « Fresques Carnavaleques ».

Cette exposition met en valeur 25 ans de passion et de création d’un artiste binchois, dessinateur en architecture de formation, qui, chaque année réalise une fresque qui, durant le Carnaval, met un peu de couleurs sur la façade d’un magasin… de couleurs, « Raphaël Glotz », sis sur l’avenue Charles Deliège, son idée étant, simplement, de souhaiter un « bin Carnaval à tertous » (bon Carnaval à tous, en français), lui qui fut « Pierrot », puis « Paysan », avant de devenir « Gille de Binche ». Notons au passage, qu’à l’occasion du 15ème anniversaire de la reconnaissance, comme « Patrimoine Culturel Immatériel de l’UNESCO » du « Carnaval de Binche », cet artiste remit en scéne, au « Théâtre Communal », la pièce « Sang d’Binchou », créée il y a 80 ans, par son père, Raymond Richez.

Outre quelques-unes des fresques, désormais attendues avec impatience par les Binchois – Gilles Richez citant Platon : « Ce ne sont pas les murs qui font la cité, ce sont les hommes » -, nous découvrons une fort intéressante collection de peintures de Gilles Rochez, réalisées « à la manière de… » Bernard Buffet, Salvatore Dali, Leonardo da Vinci, Paul Delvaux, Marcel Duchamp, James Ensor, Jean-Marie Folon, Keith Haring, Paul Klee, Gustav Klim, Joan Miro, Edvard Munch, Pablo Picasso, Vincent Van Gogh, Andy Warhol, … A découvrir, assurément !

… N’oublions pas l’organisation, en ce même Musée, jusqu’au dimanche 26 mai, d’une exposition sur un Carnaval fort proche de chez nous, mais trop méconnu des Wallons, car se déroulant en même temps que celui de Binche, nous voulons parler du « Carnaval de Dunkerque ». Sous le titre « Mets ton beste Clèt’che » (« Mets ton plus beau Costume », une expression typique de ce Carnaval), outre la mise en valeur du « Tambour Major » et du « Reuze » et de sa famille de Géants, dont quelques têtes sont exposées, nous assistons à une grande première, la présentation d’une Bande compête, en plein chahut, consituée de… 70 manequins costumés, avec leur « clique », tout de jaune vétue, leur « Tambour Major », accompagné de sa « Cantinière », et leurs nombreux parapluies multicolors.

A noter que le dimanche 16 décembre 2018, 110 Dunkerquois sont venus « chahuter » le « Marché de Noël » binchois, donnant vie aux costumes exposés au Musée, dont celui qui fut réellement porté par le « Grand Lucien », un ancien célèbre« Tambour Major », un vêtement exceptionnellement prêté au
« MICM » par la famille Cuvillon.

En outre, soulignons la présentation d’une vingtaine de tableaux de l’artiste… binchois, mais oui, Yves Glötz, diplômé de l’ « INSAS » (« Institut Supérieur des Arts du Spectacle »), quia mis au point, pour le « Carnaval de Dunkerque », une technique photochrome, adaptée de la gomme bichrmatée, des traits de couleurs venant s’incruster sur ces photographies.

… Nul doute que nous aurons envie de revenir au« MICM » pour (re)découvrir sa collection permanente des « Masques aux 5 Coins du Monde », ainsi que son tout nouveau « Centre d’Interprétation du Carnaval de Binche »…

… Et ce, en n’oubliant pas que la 3ème étape du « Tour de France » 2019, partira de Binche, ce que nous rappelle un vélo orignial à trois roues et deux guidons, exposé dans la cour du « Musée International du Carnaval et du Masque »…

Ouverture : du mardi au vendredi, de 9h30 à 17h00, le samedi et le dimanche, de 10h30 à 17h00 (billeterie jusqu’à 16h30). Prix d’entrée, incluant les expositions temporaires et les collections permanentes : 8€ (7€ pour les étudiants et les seniors / 3€50 à partir de 6 ans / gratuit jusqu’à 5 ans inclus / 7€, 6€ et 3€ en groupe) : Site web : http://www.musee dumasque.be.

Yves Calbert.

  • "La Nuit je danse", une video de sept minutes (c) Laure Chatrefou
  • En pleine Jungle de Guyane francaise, une "Touloulou" (c) Laure Chatrefou
  • Cinq videos sur grands ecrans (c) "MICM"
  • "Au Royaume des Touloulous" au "Musée du Masque"
  • "Touloulous", dans l attente de choisir leurs cavaliers, a l occasion d un bal pare-masque (c) Laure Chatrefou
  • Une "Touloulou" au large de la Cote Guyanaise (c) Laure Chatrefou
  • En rue, "je farin", en blanc, et "balayeuse" (c) "annickmaguyane" (illustration hors exposition)
  • La Galerie des 20 Costumes acquis par le Musee (c) "MICM"
  • Un "dompteur" et son groupe de "bobis" elephantesques (c) "Blada" (illustration hors exposition)
  • "Au Royaume des Touloulous" au "Musée du Masque"
  • Une "Fresque Carnavalesque" exposee, telle qu elle l etait, en 2018, sur la facade du magasin (c) "DH"
  • Giles Rochez montrant sa "Joconde", a la maniere" de Marcel Duchamp (c) "La Nouvelle Gazette"
  • Une Bande complete presentee au "MICM", au Coeur du Carnaval de Dunkerque (c) "Sud Info"
  • Une Bande chahutant le "Carnaval de Dunkerque" (c) Denis Chaulard (illustration hors exposition)
  • Yves Glotz et les harengs du Carnaval, l’une de ses photos photochrome (c) "La Nouvelle Gazette"
  • "Au Royaume des Touloulous" au "Musée du Masque"
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