Laurence Erlich et Bernard Hislaire, au « Sablon », jusqu’au 04 décembre

écrit par YvesCalbert
le 04/11/2016
(c) Yslair/Erlich

« Je sais, c’est atypique. Aujourd’hui, la plupart des artistes connus sont mono-maniaques. Pas moi. A chaque nouveau projet, je me réinvente, jusqu’à changer de signature (Hislaire, Sylaire, Yslaire, iSlaire, …) formellement, techniquement, pour que la forme exprime le mieux le fond. Mais à la vérité, c’est par intégrité à l’égard de mes lecteurs. Depuis mes premiers émois d’adolescent dans Spirou, en 1978, j’ai mûri, changé de peau. Je n’ai plus les mêmes rêves, ni les mêmes idées et je n’ai pas envie de mentir à mes lecteurs en leur faisant croire que je n’ai pas changé. A chaque étape de ma vie, j’ai construit un nouvel univers, qui ressemblait à mes interrogations du moment. Avec le temps, j’ai l’impression de devenir de plus en plus qui je suis ».

C’est en ces mots que Bernard Hislaire (°Bruxelles/1957) nous accueille sur son site http://www.yslaire.be, lui qui présente, à la « Huberty & Breyne Gallery » (« Galerie Petits Papiers »), jusqu’au 04 décembre, son travail réalisé en duo, avec son épouse, Laurence Erlich, psychanalyste de profession, s’étant formée, depuis 7 ans, et continuant sa formation, en cours du soir, à la photographie, nous disant, « je n’ai jamais fini d’apprendre, ayant aussi rencontré, sur ma route, différents photographes, tels José-Noël Doumont, Denis Lecuyer et Pierre Radisée, qui m’ont beaucoup apporté ».
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… Et c’est Laurence Erlich qui eut l’idée de trouver un mannequin, jeune adulte, pour incarner, photographiquement, durant une seule journée, dans l’atelier de son époux, Judith, qui, dans « Sambre » n’est encore qu’une adolescente de 08-10 ans. Mais quel juste choix pour exposer leurs regards complices, sur les coulisses intérieures de la dernière création graphique de son dessinateur de mari, « Fleur de Pavé » (Ed. « Glénat »/septembre 2016/67 p./dont 10 p. sont reproduites sur le site: http://www.bdgest.com).

Pour nous replonger dans l’épopée de « Sambre », voici le synopsis de cet ouvrage: « En 1857. Bernard-Marie Sambre est élevé par sa tante à la Bastide. Judith, elle, grandit dans un orphelinat à Paris. Enfermé, il subit l’éducation stricte de sa tante et le poids du legs familial. Elle fréquente gamins des rues, voyous et gavroches. Après le drame qui a frappé leurs parents, les jumeaux grandissent chacun de leur côté. Mais ils seront rattrapés par le destin: eux aussi seront atteints par la malédiction de leur famille »…

… Mais revenons à l’ « Huberty & Breyne Gallery », avec Bernard Hislaire évoquant le travail de sa compagne: « Elle avait tendance à photographier mes dessins », nous confie-t-il, « tournant autour d’un personnage nous sommes, ici, à l’occasion de notre 1ère exposition commune, en 25 ans de mariage, à la frontière limite entre (sa) photo et (ma) graphie. Ensemble, dans la pudeur, nous avons vécu ce dialogue créatif sans paroles, car, au travail, nous prenons guère le temps de nous parler, alors que dans notre vie de couple nous nous parlons énormément.

Et Laurence Erlich de nous confier: « Pour choisir le modèle, j’ai attentivement regardé la Judith dessinée, petite courtisane, créée dans l’imaginaire de Bernard. Ayant loué des costumes d’époque, fidèles à ceux dessinés par Bernard, je lui ai simplement dit: ‘Tu me laisses faire’! Et mon travail photographique s’est construit, Bernard, amusé, redécouvrant son personnage au travers de mes photos, chacun de nous ayant son propre regard sur Judith et son univers, les mystères de la féminité étant bien présents ».

Auteur multiple, Bernard Hislaire, plus connu, depuis 1987, sous le pseudonyme « Yslaire », aime explorer et repousser les limites de la bande dessinée, lui qui se mit à s’essayer à la BD dès l’âge de 7 ans, bien avant ses études artistiques à St.-Luc-Bruxelles, alors que son père, journaliste à « La Libre Belgique » lui avait dit: « Tu vas voir ‘Hergé’, après on verra »…

« Bien sûr j’ai parcouru les albums d’ ‘Hergé’ « , nous dit ‘Yslaire’, « mais il faut bien dire que si lui est réputé pour sa ‘ligne claire’, son dessin est tout à l’opposé de mon graphisme, qui tient davantage de la ‘ligne sombre’, sans oublier mon travail autour de la féminité, tout à l’inverse d’ ‘Hergé’ « ! …

Et « Yslaire » de continuer: « Contraste encore lorsque ‘Hergé’ me confia qu’il avait découvert le bonheur lorsqu’il avait arrêté de dessiner, alors que moi j’aime me réinventer, ayant l’impression de toujours redécouvrir le plaisir intense de dessiner, ce qui m’aide, à 60 ans, de toujours me sentir aussi jeune ».

« J’ai mieux connu André Franquin (c’est sous sa conduite, de 1980 à 1983, qu’il réalisa des illustrations humoristiques pour le « Trombone Illustré », l’ancien supplément de l’hebdomadaire « Spirou » et « La Libre Belgique », le quotidien où son père écrivait, ndlr), qui connu, comme moi-même, une époque dépressive ».

… Mais ceci appartient au passé, lui qui a la joie, au sein de cette même exposition, au « Sablon », d’accueillir sa fille, Lola, dont un court métrage de 30′, « Intérieur/Yslaire », tourne en boucle, projeté sur l’un des murs blancs de la « Huberty & Breyne Gallery », retraçant, avec talent, le « making-of » de la page 64 du Tome VII de « Sambre ».

Deux talents sont révélés ou confirmés, par ce film, celui de cette jeune réalisatrice de 28 ans, qui vient ainsi au cinéma après avoir vécu, à l’image de sa belle-mère, des études de psychologie, mais aussi, forcément, celui de son dessinateur de père, dont l’on peut ainsi apprécier, sur l’écran, l’extrême dextérité au travail, renforcée par quelques prises de vue réalisées en accéléré, … sans quoi ce film aurait du être un très long métrage, une page de bande dessinée, créée à l’ancienne, à la main, ne se terminant pas en une demi-heure, bien loin de là, d’autant qu’ « Yslaire », contrairement, encore, à « Hergé », colorie lui-même ses dessins, sans recourt, donc, à aucun studio de coloriage.

Parlons même, évidemment, de trois talents, puisque, sur les autres murs de la Galerie, Laurence Erlich, nous propose ses superbes photos d’une Judith en chair et en os, aux côtés de quelques dessins et planches originaux d’ « Yslaire », lauréat, en 2014, pour l’ensemble de son oeuvre, du « Grand Prix Diagonale » du journal « Le Soir ».

Dans ce quotidien, à cette occasion, Daniel Couvreur rapportait les propos d’ « Yslaire »: « Je n’ai jamais agi en fonction de finalités commerciales. Je dois gagner ma vie avec la BD et donc il faut un minimum de succès pour y parvenir mais j’ai besoin de me mettre nu. Je suis un écorché vif. Je ne peux pas travailler autrement, ce qui m’empêche de penser au marketing de mes créations. Ma vie et ma carrière auraient sans doute été plus faciles si j’en étais resté à ‘Sambre’ mais j’ai besoin d’égarements. Avec ‘Uropa’, j’ai vu qu’il ne suffit pas d’être soi-même pour que ça marche ».

De fait, « en 2012, Yslaire s’était lancé dans une toute nouvelle aventure, avec la commercialisation de son application iPad et iPhone: ‘Uropa’, qu’il signe sous le nom d’ ‘iSlaire’. Il s’agit d’un magazine numérique mélangeant astucieusement fiction et réalité. L’auteur collabore avec sa femme, ainsi qu’avec de véritables journalistes (Daniel Couvreur/’Le Soir’ et Jean Quatremer/’Libération’). Ils racontent l’Europe en 2032 et donnent vie à de nombreux personnages dont Anna Pravda, blogueuse rebelle et journaliste pour ‘Uropa’ « .

Honoré en Italie (Prix Micheluzzi de la meilleure bande dessinée étrangère, pour « Le Ciel au-dessus du Louvre »/2011), en Espagne (Prix Haxtur du meilleur dessin, pour « Sambre »/1998), en France (Prix des Lecteurs de « Libération »/ 1987), en Suisse (Grand-Prix des Alpages, au « Festival de Sierre »/1986) et en Belgique (3 Prix St.-Michel, dont, en 1986, le Grand-Prix, ainsi que 2 Prix au « Festival de Durbuy », celui du public, en 1987, et celui de la presse, en 1986).

Quand « Yslaire » fut fait « Chevalier des Arts et des Lettres », à l’Ambassade de France, à Bruxelles, il déclara: « Nous les raconteurs d’histoires, nous nous inspirons de nos drames. Nous donnons un ton particulier à notre récit, comme des alchimistes du malheur ».

Lui remettant l’insigne, l’Ambassadeur de France auprès du Royaume de Belgique, son Excellence Madame Claude-France Arnould soulignait: « La Belgique est le lieu d’origine, de naissance, voire d’excellence du 9e art. Et l’œuvre de Bernard Hislaire est une merveille d’expression du franco-belge… Le travail d’ ‘Yslaire’ est une interaction entre le trait, la photo, le dessin, internet, le web feuilleton, la vidéo et bien d’autres supports. Il utilise aussi toutes les ressources du langage et de l’actualité pour démontrer son intérêt et ses passions ».

… En ces mots, déjà, Madame l’Ambassadeur évoquait la « photo », ce qui nous ramène au temps présent et à cette superbe exposition à découvrir jusqu’au 04 décembre, les photos de Laurence Erlich ajoutant le réel à l’imaginaire d’ « Yslaire », en un intéressant regard croisé.

Egalement, « internet, le web » étaient évoqués dans ce discours, ce qui nous ramène à une autre collaboration entre nos deux artistes, Laurence et Bernard, celle, débutant en 1997, des « Mémoires du XXe ciel », qu’ « Yslaire », en éternel mouvement, refusant de s’installer dans le succès d’une histoire « classique », telle « Sambre », prit le risque de développer sur le web, avant d’en signer une version en albums. A l’époque, il avait mis en relation photographie et psychanalyse, ces 2 personnages principaux, « Eva » et son frère « Frank » étant l’une psychanalyste et l’autre photographe, lui-même, Bernard, dessinant le tout.

Peut-être Laurence Elrich pense-t-elle que comme le dessinateur et la photographe qu’ils sont partagent des choses en commun, « photographie et psychanalyse ont certaines choses en commun: les logiques de ‘révélateur’, d’ ‘image latente’, de ‘transfert’, le détail que l’on peut ‘développer’, pour lui donner une autre signification » (comme rédigé sur le site 1001cases .net).

Mais laissons à « Yslaire » le soin de conclure notre bien belle rencontre avec trois artistes simples et talentueux: « Après 40 ans de métier, cette exposition constitue une aventure, un saut dans le vide, nous menant à une cohérence, qui me fait dire que cette expo est une expérience très positive, à poursuivre, en 2017, à Paris ».

… Et comme il le confiait récemment dans l’ « Écho »: « La beauté, c’est la religion des artistes ».

L’ « Huberty & Breyne Gallery » (http://www.hubertybreyne.com), spécialisée depuis plus de 25 ans dans les originaux de bandes dessinées, est ouverte du mercredi au dimanche, de 11h. à 18h.30. Entrée libre.

Yves Calbert.

  • (c) Yslair/Erlich
  • (c) Jean-Jacques Procureur
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  • En famille, à l'Ambassade de France
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