L'Homme de l'île du diable de Ruth Harris - Presses de la Cité.
Une histoire des passions dans l'affaire Dreyfus
Un regard neuf sur l’affaire Dreyfus, revisitée sous l’angle des passions, des émotions, des amitiés et des conflits personnels entre Dreyfusards et anti-Dreyfusards.
« L’Affaire » reste un événement majeur dans la symbolique nationale, fondateur de clivages durables dans la société française, au même titre que la Grande Guerre, Vichy, la guerre d’Algérie ou Mai 1968. Il règne chez les historiens – fait rare, voire remarquable – une certaine unanimité : les dreyfusards, chevaliers blancs de la vérité et de la raison, nous ont légué l’image de l’intellectuel de gauche et la Ligue des droits de l’homme, alors que les antidreyfusards ont préfiguré la droite antisémite et radicale qui s’est compromise et discréditée sous Vichy. C’est un point de vue dominant, quasi hégémonique, et c’est à lui que s’attaque avec intelligence et talent Ruth Harris, professeur à Oxford.
On ne trouvera pas ici un récit chronologique mais des portraits d’acteurs. Sous cet angle, l’Affaire prend une allure inhabituelle : les passions y jouent un rôle central ; les frontières bien tranchées de la vision manichéenne s’estompent. Ce sont d’anciens amis, des collègues qui se déchirent sous nos yeux, des êtres humains incarnés. Les dreyfusards comme les antidreyfusards ne se laissent pas réduire à un simple affrontement principiel, vérité contre raison d’Etat ou nationalisme. C’est sans doute parce que Ruth Harris a lu toutes les correspondances privées disponibles – entre autres nouveautés documentaires – qu’elle parvient à cette maîtrise du matériau humain. Et il y a, bien sûr, énormément de choses dont on a peu parlé jusqu’ici, par exemple le rôle des salonnières, le scientisme d’un Barrès, fortement influencé par le savant délirant Jules Soury, les relations complexes, conflictuelles, entre la famille Dreyfus et les frères Reinach, Jaurès, l’importance de la « connexion alsacienne », etc. A n’en pas douter, sur ce sujet éternellement repris, voici un livre qui suscitera de nouveaux et passionnants débats.
Ruth Harris est historienne, spécialiste de la France. Elle est professeur au New College de l’université d’Oxford.
L’affaire est le sujet du prochain film de Polanski. Robert Harris, son scénariste, a reconnu s’être beaucoup servi de l’ouvrage de Ruth Harris.
Traduit de l’anglais par Alexandra Laignel-Lavastine.
www.pressesdelacite.com - 752 pages - 24,00 €.