Archives Cantons de l'Est 11 septembre 1956 Visite royale à Eupen, Malmédy et Saint-Vith

écrit par francois.detry
le 05/08/2015
Le Roi au balcon de l'hotel de ville

Chaleureusement accueilli par les populations de l’Est, le Roi assure celles-ci de son attentive sollicitude. Ces trois villes de l’Est qu’une situation géographique extrême a écartelées deux fois en quarante ans, ont accueilli le Roi avec une grande ferveur.

Etape 1 : Visite à Eupen

Dans ces cités, mais à Eupen surtout, chaque pas fait apparaître des traces d’un partage douloureux entre des conceptions parfois diamétralement contraires. Que ces déchirements aient laissé des traces, on ne peut s’en étonner. Il y a, aujourd’hui, cette musique qui joue un air « bien de chez nous », mais où le son des fifres demeure perché sur la partition. Il y a l’architecture des demeures eupenoises, le nom des rues, cette place – la Rathausplatz - où, tantôt, la silhouette élancée du Roi apparaîtra. Le patron du « Gasthaus » dit avec un accent très particulier : « A votre santé ! », en vous apportant le vin de Moselle, servi dans un verre à liqueur. Mais il y a aussi la multitude des drapeaux aux couleurs nationales, tout au long du parcours que va suivre le cortège royal, la foule, les enfants des écoles, les jeunes miliciens à l’accent bruxellois et, pour parfaire le cachet d’authenticité nationale, un immeuble inévitable : celui des contributions directes qui s’appelle ici « Steueramt ». Le Roi est apparu comme sortant d’un nuage, à travers la brume épaisse qu’une nuit froide avait abandonnée comme un vieux manteau. Sur les hauts plateaux de la Vesdre, près du barrage, on entendit, tout d’abord étouffé, le ronflement des motos bleues de la gendarmerie. Puis, une longue voiture apparut brusquement à deux pas de nous. Le Roi était là, en face du barrage d’Eupen. C’est une belle œuvre, ce barrage : une solide muraille de béton, longue de 400 mètres, haute de près de 70 mètres et épaisse de 55, s’adossant à un lac pouvant contenir 25 millions de mètres cubes d’eau. Le tour du lac représente un trajet de quatorze kilomètres de long. L’immense réservoir d’eau que contiennent les collines est constitué par les apports de la Vesdre, de la Helle et de la Getz, mais surtout par le suintement continu des centaines d’hectares de terres spongieuses de la Fagne. Le Roi qu’accompagnent le comte Gobert d’Aspremont – Lynden, grand maréchal de la Cour, le Vicomte Gatien du Parc, chambellan, et ses aides de camp, est accueilli au pied du barrage par les ministres Rey, Troclet et Vermeylen, le bourgmestre d’Eupen, M. Zimmermann, et le gouverneur de la province, M. Clerdent. Une pluie fine tombe pendant que le Roi et sa suite se dirigent vers le barrage. Puis le Roi se rend au pied de l’ouvrage où se trouve un pavillon circulaire abritant les installations d’épuration d’eau. A Eupen, dans l’humide grisaille, toute la ville se prépare à accueillir le Souverain. Des centaines d’écoliers, côte à côte, dessinent la route que suivra le Roi, jusqu’à la Maison communale. Fanfares, cymbales, tambours. Dans les tavernes, qui ont un air de famille ( tables rondes, plancher de gros bois blanc ), les vastes chopes se vident à manche se vident brusquement. Tout le monde est sur le trottoir. Le Roi va arriver. Il est près de onze heures lorsque la voiture découverte du Souverain débouche sur la Grand - Place. Le soleil perce les nuages, des géraniums rouges e roses fleurissent le balcon de l’hôtel de ville et des maisons voisines. Les sociétés folkloriques locales forment une haie d’honneur. Hauts-de-forme, gants blancs, bannières brodées. Le roi du tir à l’arc, médaillé des pieds à la tête. Une chorale, une fanfare. Un détachement du 3ème Chasseurs ardennais de Vielsalm est venu s’aligner le long du trottoir, aux sons de la marche régimentaire : « Vous descendrez le sol cde la Belgique, en descendant le vieux sol ardennais ». Le Roi n’a fait que traverser la place, salué par des vives acclamations de la foule. Sa voiture s’arrête devant la pelouse d’honneur du cimetière. Le Souverain se recueille et va déposer une couronne devant le monument de la guerre 1914-1918 et 1940-1945. Quatre clairons sonnent le « Last Post ». Après avoir salué les drapeaux des Associations patriotiques, le Roi se rend à pied à l’hôtel de ville. La foule se presse derrière les barrières Nadar. Il y a des Eupenois jusque sur les échafaudages d’une maison en construction. Des jeunes gens et jeunes filles se sont juchés sur le toit d’un des immeubles de la place. On crie : « Vive le Roi ! » et parfois « Es lebe der König ! ». Répondant d’un geste de la main aux acclamations, le Souverain passe en revue les Chasseurs ardennais, serre la main du chef de corps et se dirige vers l’hôtel de ville où il est accueilli par une fillette en robe bleu – ciel. D’une voix fluette, la petite Anne-Rose Nyssen, petite fille du premier échevin, lui souhaite la bienvenue en allemand, puis en français. Le Roi sourit, accepte les fleurs qui lui sont offertes et pénètre dans la coquette « mairie », ancien couvent désaffecté. Brabançonne. Encore des fleurs de géranium, le long des escaliers et au-dessus des cimaises de la salle du Conseil communal. Autour du fauteuil royal se sont réunies les personnalités de la région, au premier rang desquelles on reconnaît S. Exc. Mgr Kerkhofs, évêque de Liège ; M. Zimmermann, bourgmestre d’Eupen, etc. Celui-ci s’apprête bientôt à prendre la parole. Parlant en français et en allemand, il déclare tout d’abord qu’Eupen s’honore de pouvoir présenter au Roi ses souhaits très cordiaux de bienvenue et ses sentiments de profond respect. Le bourgmestre souligne qu’Eupen possède une activité commerciale florissante, aux orientations multiples et que la commune est fière, à juste titre, de ses nombreuses écoles. Eupen est tout rempli d’une intense vie religieuse. L’orateur poursuit : « Aux différents gouvernements de Votre Majesté, Eupen doit une grande dette de reconnaissance pour la large compréhension, le soutien efficace, accordés à toutes nos tentatives d’accroître et d’étendre la prospérité de notre population. Cette sollicitude gouvernementale a trouvé son couronnement dans la construction du grandiose barrage de la Vesdre, le plus grand de Belgique ». M. Zimmermann souhaite ensuite que la visite du Souverain contribue à hâter l’exploitation complète du barrage ainsi que de sa station d’épuration, et que le lac enchanteur du barrage puisse être très bientôt animé par des sports nautiques.
Après avoir rappelé la visite du roi Albert en 1925, celle du roi Léopold en 1938 et celle de la reine Elisabeth en 1948, l’orateur déclare : « La visite de votre Majesté nous prouve une fois de plus combien la famille royale , gardienne de nos institutions, manifeste d’intérêt envers les besoins et les soucis de notre population ». Et le bourgmestre prie le Chef de l’Etat de recevoir l’assurance de l’indéfectible fidélité de la population, de son dévouement et de son attachement à la personne et à la famille royale. Il formule des vœux ardents pour que le Souverain connaisse un règne heureux et prospère. « Vive le Roi ! » s’écrie-t-il en terminant. Suit alors une intervention du Président de la Chambre de Commerce de Verviers et des cantons de l’Est, M. Kuchenberg. « Notre groupement est né du développement considérable du textile à Eupen et s’est attaché progressivement à la défense des intérêts de toutes les autres branches d’industrie. Les changements successifs de régime ont rendu sa tâche plus difficile. Aujourd’hui, les conjonctures autorisent l’espoir d’un avenir florissant. (… ) Les cantons de l’Est et Verviers sont les deux seuls centres industriels importants du pays que ne dessert aucune voie navigable ce qui entraîne naturellement comme conséquence, une augmentation sensible des frais de transport ». Il fait très chaud dans la salle. Les fronts sont moites. Sur un signe du vicomte Gatien du Parc, un photographe se précipite et ouvre une fenêtre à deux battants. Tout le monde respire. Des cris « Vive le Roi ! » saluent la péroraison du discours. Le Souverain prend alors la parole. « Monsieur le Bourgmestre, Je suis profondément touché des sentiments que vous venez de m’exprimer au nom de la population eupenoise. Je vous en remercie chaleureusement. Mesdames et Messieurs, C’est une grande satisfaction et une joie pour moi de me trouver aujourd’hui parmi vous. Ces régions de l’est de la Belgique ont connu, avant et depuis leur retour au sein de la patrie, beaucoup d’épreuves et de souffrances. Aussi leur vouons-nous une sollicitude très attentive. Vous avez rappelé, Monsieur le Bourgmestre, l’intérêt que mes prédécesseurs ont marqué à votre ville. Je suis heureux d’entrer, à mon tour, en contact plus étroit avec les populations d’Eupen, Malmédy et Saint - Vith. Depuis 1945, les différents gouvernements se sont efforcés de porter remède aux difficultés nées dans ces territoires des suites de la guerre. Aidés par l’énergie des populations, s’appuyant sur leur loyauté et leur sens patriotique, ils ont réalisé de grands progrès. Je suis heureux de constater aujourd’hui le résultat de ces efforts conjugués. Sans doute, certains problèmes n’ont-ils pas encore été complètement résolus. Soyez assurés qu’ils font l’objet de ma sollicitude. Mon gouvernement y consacre son attention. Il continuera la tâche entreprise, afin de garantir aux Belges de cette région, le maximum de bien-être dans le cadre national. De Tout cœur, je forme des vœux pour la prospérité de nos cantons de l’est et pour le bonheur de leurs habitants ». Le Roi reprend alors les termes de son discours en allemand cette fois. Sa diction est nette, son accent irréprochable. Souriant et détendu, le chef de l’Etat se fait présenter les personnalités : membres du Conseil communal, autorités religieuses, militaires et civiles, bourgmestres du canton d’Eupen, sénateurs et députés de l’arrondissement, présidents des fabriques d’église en jaquette et col à coins cassés, délégués syndicalistes en veston clair. Le Roi signe ensuite le livre d’or. Sur la page blanche, il y a déjà une signature : Léopold, avec une date : 20 août 1938. C’est au cours de manœuvres dans les Cantons de l’ Est que le roi Léopold, chef de l’armée, fut reçu à l’hôtel de ville. Lorsque le Roi Baudouin apparaît au balcon, une immense clameur monte de la foule. Avant qu’elle ne se soit apaisée, la chorale d’Eupen – Royal Eupener Mannerquartett – entonne un air régional « Komt, schöner Tag » ( Viens, beau jour). Cette romance plonge M. Vermeylen dans une profonde méditation ; songeur, le ministre de l’Intérieur suce ses lunettes avec application. C’est dans l’enthousiasme général que le Souverain quitte l’hôtel de ville pour la salle des fêtes où un lunch lui sera offert par l’Administration communale. Il est douze heures trente. ( Extrait de « La Libre Belgique » datée du samedi 11 septembre 1956 / Archives de feu Monsieur Maurice Bragard, Président Honoraire de « La Royale Malmédienne )

François DETRY

A suivre

© François DETRY
Lien vers les reportages 2015 de François DETRY

  • Le Roi au balcon de l'hotel de ville
  • Le Roi au barrage d'Eupen
  • Reception a l'hotel de ville
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